N°4, Décembre 2020
Chronique littéraire rédigée pour ManagerSante.com par Alexis BATAILLE , Aide-Soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, aujourd’hui étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
Il est membre du comité de rédaction du site Infirmier.com et auteur d’un ouvrage intitulé « Vous avez mal où ? », publié aux éditions City, en Mars 2019.
Dans sa définition la plus large, soigner suppose une volonté première : l’autre. En ce domaine, malgré qu’elle soit, par essence, « sauvage », la nature nous en témoigne de beaux exemples par le simple fait qu’elle est constituée d’un double écosystème. Celui-là même qui lui permet, à la fois, de se nourrir et de s’entretenir, au travers de la chaîne alimentaire, mais aussi de se préserver et de grandir en reconnaissant que, si la force de l’un fait indubitablement la faiblesse de l’autre, la réciprocité demeure son pendant vertueux. Une harmonie que l’on appelle la symbiose.
Cela permet de conserver une relation équilibrée entre la nécessaire altérité objective, au sens de moyen, celui de seule qualité potentiellement comestible qui permet de se nourrir chez nos amis les animaux, et absolue, subjective, celle permettant d’admettre la responsabilité de son égal comme sujet relationnel et, par la même, de contractualiser un objectif mutualiste et durable : le bien-être. Ainsi, par exemple, le poisson clown se protège des autres prédateurs dans les bras urticants de l’anémone des mers en lui offrant le débarrassage parasitaire et le crocodile bénéfice des soins dentaires du pluvier qui en profite pour se nourrir des restes.
Pour autant, ce qui est valable chez les uns ne l’est pas pour l’ensemble du règne animal. Dans beaucoup de domaines, l’Homme ne manifeste pas ce qui semble être, a priori, une réelle « compétence », au sens de la « competentia » [1], soit un « rapport exact », « proportionnel », ici, à l’autre.
Néanmoins, il existe un domaine où l’on tout de même en retrouver un des expressions la plus saine et la plus complète. Il s’agit du soin. Un endroit où, tous les jours, chaque professionnel de santé, mobilise assurément ce qui apparaît alors comme un « hors du commun » ; la compétence de l’autre. Aussi, aujourd’hui, je vous propose de réfléchir sur ce qui motive cette volonté humaniste en observant les éléments moteurs d’une phénoménologie soignante bien particulière, celle de l’altérité.
Le soin est un engagement
Le soin est un engagement. Oui. D’abord, envers-nous même. En effet, soigner suppose un important travail d’introspection. Il faut « être au clair » comme l’on dit. Je dirais même plus, il faut « être clair ». Être en cohérence avec soi-même avant de vouloir rebâtir de la cohérence chez les autres.
De fait, connaître exactement les valeurs humaines qui nous orientent vers la volonté de porter une attention à l’autre, dans sa complétude, c’est, avant toute chose, se débarrasser de l’image fantasmée des professions du soin pour aller à la rencontre de la réalité. Le soin n’est décidemment plus une « vocation ». En ce sens, « aimer » béatement les personnes ne suffit pas. Il faut les « considérer », c’est-à-dire être attentif à l’autre, tout en étant critique, et admettre la réalité de l’autre, qui n’est pas toujours un reflet idéal de soi-même. Selon cette idée, l’engagement soignant est alors celui d’une symbiose « d’accompagnement », permettant de marcher avec, plutôt qu’une unique vision sacerdotale de la « charge », qui sous-entend le principe de non réciprocité, soit être celui ou celle qui porte toutes les misères du Monde. Non. Le soin n’est pas une expiation, il est un engagement à la réalisation de soi par et avec les autres et non au travers des autres.
Sur ce point, le soin est aussi un engagement sociétal. Il permet d’affirmer le principe d’équité et de fraternité. En effet, dès lors qu’une nation à le souci de « prendre soin », elle fait valoir ses intérêts humanistes en reconnaissant sienne l’obligation de santé publique, pour tous, sans distinction, et l’exigence d’une transcendance sociale : la solidarité. Si bien qu’elle incorpore, de façon objective, l’ensemble de ses acteurs en son sein, comme des protagonistes opérationnels de l’unité, sanitaire, d’une part, et citoyenne, d’autre part. La pandémie en est l’exemple le plus flagrant, le soin est un élément qui participe à la symbiose populaire. Un liant humain fondamental afin de « faire société ».
Enfin, s’il fallait encore l’expliquer, soigner c’est d’abord et surtout s’engager auprès de cet « autre ». Un autre-patient, un autre-voisin, un autre-ami… C’est s’engager à le valoriser en tant que sujet et non objet. C’est reconnaître en lui des qualités émotionnelles qui doivent incontestablement l’inscrire dans la réalité du Monde et de la société puisqu’il est Homme. C’est respecter son individualité, ses nuances et ses valeurs en dépit du fait que nous ne les partageons peut-être pas. C’est poser sur lui un regard profondément neutre en se refusant de projeter un quelconque sentiment ou ressentiment personnel sur sa propre histoire. En cela, le soin est une symbiose fraternelle, et en respecte l’essence animale, dans la mesure où personne n’est « à la place de » mais que chacun est « à sa place de ». De sorte que, le soin est un engagement à la respectabilité et que, la compétence de l’autre est une reconnaissance de la dignité.
La compétence de l’autre, la compétence de la dignité
De fait, la compétence de l’autre est, de manière intrinsèque, celle du soignant en cela qu’elle représente l’élément central de la relation de soins. Or, elle n’est pas innée et n’est pas non plus définitivement acquise. Appréhender l’autre et le considérer, cela s’apprend et s’entretient. C’est une compétence fragile. Autant que le professionnel de santé doit sans cesse trouver le juste équilibre entre la technique et la pratique. Il doit toujours éviter que l’exigence fonctionnelle fasse parfois faire oublier l’exigence relationnelle. A contrario, il doit absolument veiller à ce que cette dernière ne prenne pas une place trop importante afin d’éviter la submersion émotionnelle. Car, la compétence de l’autre n’est pas une aliénation à sens unique, elle est une formation de compromis entre deux individus consentant à la continuité de l’existence en tant qu’être humain irréductible à un objet de soin. Or, même si notre condition humaine est une force en expression, elle aussi notre faiblesse en sentiment et admet d’être, lorsque l’on est soignant, enrichie d’un enseignement initial et continue afin de mobiliser au mieux, avec pertinence, la compétence de l’autre comme une faiseuse de dignité.
Seulement, un constat s’oppose assez rapidement une fois que l’on a dit tout cela. Puisqu’elle n’est pas innée, on suppose que, dans le monde, tout le monde ne dispose pas tout à fait de la compétence de l’autre. Ainsi, la crise sanitaire a pointé du doigt des insuffisances à ce titre en nous dévoilant beaucoup de comportements aux pendants égoïstes, au profit de la liberté individuelle, et un manque de responsabilité sanitaire prégnant vis-à-vis de l’autre…
Pour autant, certaines personnes ont mobilisé cette compétence avec beaucoup d’efficacité et un esprit d’initiative citoyenne témoignant d’une réelle persistance de la société française à « prendre soin » des autres, en dépit d’une situation commune assez contrainte, tels que pouvaient l’être le confinement 1 et 2. Tout le monde était dans le même bateau sans forcément être au même poste de commande, néanmoins chacun partageait le même objectif : arriver à bon port sans trop de heurts sanitaires.
En admettant que l’on arrive à faire grandir et à entretenir les quelques bons fruits de l’arbre post-crise, que certains ont su toutefois d’ores et déjà cueillir, la compétence de l’autre nous offre des perspectives humanistes et citoyennes qui viendront renforcer potentiellement le processus de résilience nationale. Car, on le sait, il existera une puissante lame de fond psychologique après les vagues épidémiques.
Peu de mots suffisent à prendre en compte la dimension élémentaire de la compétence de l’autre. D’abord dans la relation mais aussi dans un contexte général. Celle-ci s’avère être un enjeu sociétal à venir et un défi national pour ne jamais sacrifier l’esprit collectif.
En effet, la compétence de l’autre nous renvoi à la figure une équation cardinale un peu oubliée ; Un jour, nous serons tous le soignant de quelqu’un. Un jour, nous serons tous le soigné de quelqu’un.
Pour aller plus loin :
[1] GAFFIOT F., « Dictionnaire latin/français », Hachette, 1934.
BENOIST L., « Prendre soin », Gestalt, vol. no 26, no. 1, 2004, pp. 23-25.
CHAPUT G., VENARD C., VENARD G, « La densification de l’être : se préparer aux situations difficiles », Editions PIPPA, 2017.
DEFRAIGNE-TARDIEU G., « Freire, Alinksky, Dolci, praticiens de l’émancipation », Les fondements théoriques du savoir émancipatoire, Université populaire quart-monde, Collections Prix de thèse, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2012.
HESBEEN W., « Humanisme soignant et soins infirmiers – Un art du singulier », Editions Elsevier-Masson, 2017.
PSIUK T., LEFORT H., « Patient partenaire – Patient expert », Collections Sciences et Santé, Editions Vuibert, 2019.
Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de la plateforme média digital d’influence ManagerSante.com remercie vivement Alexis BATAILLE , Aide-Soignant et, depuis Septembre 2019, étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France. pour avoir accepté de partager son expérience, à travers ce nouvel article, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com.
Biographie de l’auteur :
Aide-soignant diplômé en 2013. Alexis Bataille rejoint le Service de Santé des Armées la même année et servira dans différents Hôpitaux d’Instruction des Armées jusqu’en 2019. Durant son parcours de soignant militaire, Alexis aura en plus l’occasion d’être projeté en opération extérieure mais aussi d’être membre du Conseil de la Fonction Militaire du Service de Santé des Armées.
Dorénavant aide-soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, Alexis Bataille est étudiant en soins infirmiers au sein d’un institut de formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
En parallèle de son activité professionnelle et étudiante, Alexis Bataille est également membre du comité de rédaction du site infirmiers.com, membre du Cercle Galien et auteur d’un ouvrage intitulé « Vous avez mal où ? Chroniques d’un aide-soignant à l’hôpital » paru chez City Editions en 2019.
[OUVRAGES DE L’AUTEUR]
Préface de cet ouvrage :
Aide-soignant…
S’il fallait oublier le mot « aide » pour ne retenir que celui de « soignant » ? Ignorés du plus grand nombre, sans exposition médiatique – bien que la récente crise sanitaire ait éclairé leurs fonctions – qui parle de ces professionnels du « care », du « prendre
soin » ? Qui leur donne la parole, les écoute et les valorise ?
Je me souviens du témoignage de l’un d’entre eux qui affirmait : « Qu’un geste, un regard, une accolade, une parole ou un fou rire partagé avec la personne dont on a la charge, redonne foi en ce métier, en l’humain. À cet instant précis on sait pourquoi on est là… »
Oui, affirmons-le et ce n’est pas les infirmiers(ères), cadres de santé, médecins… et surtout patients qui nous contrediront : chacun connaît la valeur et le rôle indispensable des aides-soignants au sein d’une équipe soignante. Il n’y a pas si longtemps, le binôme infirmière/aide-soignante était le « duo gagnant » d’une prise en soin optimale. En effet, grâce à
cet apport de compétences mixtes, le temps du soin et du confort s’opérait pour le patient de façon fluide et dans la continuité : du petit-déjeuner à la toilette, en passant par la réfection du lit, la mise au fauteuil, le renouvellement du pansement ou tout autre soin
technique. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui combien cette valeur du travail en binôme est malmenée.
Pourtant, ce qui en résulte, grâce notamment au rôle propre de l’aide-soignant qui ne lui est pourtant pas accordé, c’est cette attention, cette disponibilité, cette écoute, cette gestuelle, cette qualité relationnelle et, au-delà, cette observation clinique qui fait toute la différence. Toutes ces qualités sont la valeur-ajoutée du prendre soin dans la « globalité » du patient, un terme tellement usité qu’il en a perdu sa valeur intrinsèque. Quiconque se retrouve en position de « malade » va l’éprouver très vite. Le travail de l’aide-soignant n’est donc pas seulement une aide, il s’agit bel et bien d’un soin précis et réel.
À l’heure où notre système de santé opère nécessairement de profondes mutations, où l’on parle enfin « d’attractivité » dans les métiers du soin, gageons que celui d’aide-soignant, riche d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-être qui lui est propre, puisse exprimer l’essence même de son cœur de compétences. Il est en effet grand temps que de nouvelles perspectives s’ouvrent à lui, qu’il soit reconnu comme professionnel de santé à part entière, et ainsi valorisé comme il le mérite !
Bernadette FABREGAS, Infirmière
Directrice des rédactions paramédicales, Infirmier.com
Groupe Profession Santé @FabregasBern
Interviews de l’auteur :
- Interview – Ministère des Armées (2019)
- Interview – Magazine de la Santé (France 5) (2019)
- Interview – Journée Internationale des Aides-Soignants – R.C.F (2019)
- Interview – Journée Internationale des Aides-Soignants – Infirmiers.com (2017)
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youtube.com/c/ManagerSante
Parce que les soignants ont plus que jamais besoin de soutien face à la pandémie de COVID-19, l’association SPS (Soins aux Professionnels en Santé), reconnue d’intérêt général, propose son dispositif d’aide et d’accompagnement psychologique 24h/24-7j/7 avec 100 psychologues de la plateforme Pros-Consulte.
ManagerSante.com soutient l’opération COVID-19
initié par l’Association Soins aux Professionnels de Santé
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