Nouvel Article écrit par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School). Il est co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Avril 2019 intitulé «La philosophie du bonheur et de la joie» aux Editions Ellipses,
N°38, Octobre 2020
Faut-il mettre ses personnels en concurrence pour les faire progresser ? Cette manière de procéder prétend renforcer la motivation de ceux qui contribuent au développement d’une entreprise ou d’une organisation. En instaurant ce mode de fonctionnement, certains managers pensent qu’ils vont redynamiser leurs équipes, qu’ils vont insuffler une énergie nouvelle et faire naître chez ceux dont ils ont la responsabilité une volonté de réussite salutaire et efficace. Cependant, une telle méthode de management ne risque-t-elle pas de produire des effets pervers humainement inacceptables et, de plus, totalement contre-productifs en termes d’efficacité ?
Si l’on entend par concurrence, le fait de mettre en compétition les différents acteurs d’une entreprise, afin de faire en sorte que chacun soit animé du souci d’être meilleur que les autres, ne s’expose-t-on pas au danger de voir les équipes se diviser et de créer en leur sein un climat délétère de méfiance.
C’est la question du rapport à l’autre qui est ici posée. Il y a, en effet, au moins deux manières de percevoir l’autre. Soit je le considère comme celui qui peut me venir en aide, soit je le considère comme une menace. En d’autres termes, les autres peuvent être perçus comme ceux dont la puissance d’agir peut se joindre à la mienne et me rendre de ce fait plus puissant, mais ils peuvent à l’inverse être perçus comme ceux dont la puissance limite la mienne. Dans ce dernier cas de figure, l’autre est nécessairement perçu comme un ennemi, comme celui qu’il faut, sinon abattre, en tout cas affaiblir pour préserver sa propre puissance. Cela fait qu’au bout du compte, on risque fort de donner lieu à une culture de l’impuissance, le sujet passant plus de temps à s’efforcer de vaincre la puissance de l’autre et à tout faire pour l’affaiblir, au lieu de chercher à cultiver réellement ses aptitudes pour développer une puissance susceptible de se mettre au service de tous.
Le recours à la concurrence pour manager les personnels incite donc à percevoir l’autre comme une source de faiblesse et ne peut donc générer que des affects de tristesse, voire de haine. Selon Spinoza, la tristesse désigne l’affect qui exprime une diminution de ma puissance d’être et d’agir et la haine n’est rien d’autre qu’une tristesse accompagnée de l’idée de sa cause extérieure. Il semblerait donc que la tristesse soit au coeur même de la concurrence et qu’elle ne puisse faire régner qu’un climat mortifère dans les relations de travail.
Dans la mesure où, dans une situation de concurrence, il faut être le meilleur, il s’avère nécessaire non seulement de chercher à se dépasser, mais également de diminuer les capacités d’autrui. Une telle situation conduit à confondre puissance et pouvoir, à chercher à exercer sur l’autre un pouvoir pour limiter sa puissance. N’est-ce pas une marque d’impuissance que de sentir puissant uniquement en exerçant un pouvoir sur autrui pour réduire son champ d’action ?
Ne serait-il pas souhaitable de préférer l’émulation à la concurrence ? Les deux mots peuvent, il est vrai, être parfois utilisés l’un pour l’autre et certains dictionnaires en font même des synonymes. Il n’empêche que lorsque l’on parle d’une saine émulation à l’intérieur d’un groupe, on n’entend pas par là une compétition généralisée et sauvage entre tous ses membres, mais plutôt une situation dans laquelle ceux qui sont parvenus à développer au mieux leurs aptitudes contribuent à faire progresser les autres en les entraînant dans leur sillage.
Ainsi, l’enseignant qui s’efforce de faire régner ce climat dans sa classe s’efforcera de créer les conditions pour que les meilleurs de ses élèves contribuent à faire progresser ceux qui rencontrent plus de difficultés, à ce qu’ils leur viennent en aide pour que ces difficultés finissent par être résolues.
L’émulation, comprise en ce sens, permet donc d’établir un rapport à autrui plus positif et plus joyeux – au sens ou la joie est le contraire de la tristesse, c’est-à-dire l’affect correspondant à une augmentation de puissance –, car chacun en augmentant ses aptitudes et en les mettant en œuvre contribue à l’augmentation de la puissance d’agir de tous. En ce sens, l’émulation repose sur l’indispensable solidarité qui doit unir ceux qui poursuivent un même objectif et doivent se rendre utiles les uns aux autres.
Alors que la concurrence impose un impératif de performance en exerçant sur chacun une pression parfois insupportable, l’émulation tout en développant l’esprit de solidarité cultive le goût de l’excellence. Il ne s’agit pas d’être meilleur que l’autre et de le dépasser par tous les moyens, il s’agit plutôt de donner le meilleur de soi, de développer ses aptitudes pour les mettre au service d’autrui et de contribuer à la réalisation d’un projet commun.
À l’heure où est de plus en plus préconisé un management fondé sur la bienveillance et où sont valorisées les démarches collaboratives, il est souhaitable de créer les conditions d’une telle émulation et de renoncer au culte de la concurrence sans limite.
Pour aller plus loin :
DELASSUS E. « Philosopher avec les managers »(2020) PDF
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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS, Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et Docteur en philosophie , co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Septembre 2018 intitulé « Ce que peut un corps » aux Editions l’Harmattan, de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com
Biographie de l’auteur :
Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il vient de co-publier un nouvel ouvrage le 25 Septembre 2018 intitulé » Ce que peut un corps », aux Editions l’Harmattan,
DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE
du Professeur Eric DELASSUS qui vient de paraître en Avril 2019