N°2, Octobre 2020
Chronique littéraire rédigée pour ManagerSante.com par Alexis BATAILLE , Aide-Soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, aujourd’hui étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
Il est membre du comité de rédaction du site Infirmier.com et auteur d’un ouvrage intitulé « Vous avez mal où ? », publié aux éditions City, en Mars 2019.
Aujourd’hui, la question de la littératie [1] nous renvoi à notre propre détermination individuelle, en tant que sujet dans une société. Par conséquent, elle fait appel à notre interaction subjective et collective vis-à-vis de ce droit mais aussi nécessaire devoir d’information, de « juste information ».
En tant que telle, la littératie est un engagement. Celle de donner tous les moyens nécessaires aux individus de prendre part au monde, de « faire société ». En effet, c’est par l’information reçue de l’entourage, perçue dans la vie quotidienne et compris via la pédagogie, que tout à chacun dispose d’un corpus commun marquant notre appartenance à une identité, formant une banque de données sociales qui deviendra, bien plus tard, habiletés sociales. C’est ainsi qu’il n’existe pas une littératie mais des littératies à travers le monde.
Par conséquent, l’on peut absolument dire que la littératie dépasse le seul cadre de l’engagement social, elle est responsabilité morale de toute société se voulant « moderne ». Elle permet de construire le sens critique qui permet de laisser s’exprimer, en tout épanouissement, au sein d’une entité plus générale qu’est la société, le libre arbitre, lequel est le corollaire de la détermination individuelle.
Or, de nos jours nous avons vu poindre l’exact contraire de la littératie : l’ultracrépidarianisme. C’est-à-dire la capacité de devenir 66.9 millions d’experts en France, motivés par la seule conviction d’un message , relayé des centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux…
Ainsi, la crise de la COVID19 nous l’a prouvé, beaucoup ont perdu la compétence en littératie. Celle-là même qui nous impose de « prendre le temps » de l’analyse, de la compréhension et de la recherche de la « juste information ».
Celle qui permet de se construire un avis individuel, critique, sans être une seule adhésion à l’opinion commun parce que « si tout le monde le dit, le pense… alors moi aussi». Pour le moins, toutes les informations ne sont pas de la connaissance et notre société de l’instantané nous fait alors basculer dans une société de désinformation, ou d’uniformisation de l’information, placée, malgré elle, dans le monstrueux engrenage de la marche folle du monde…
Toutefois, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. L’accès à cette information, dans toutes ses composantes allant de la compréhension à l’interprétation, tout en passant par la comparaison, n’est pas la même selon les niveaux socio-économiques.
La littératie est déterminée par un système d’influence reconnu, qui n’est pas nouveau, il s’agit de l’inégalité sociale.
Alors, la question de la littératie devient une question d’éthique sociétale car perdre ou ne pas avoir les moyens d’acquérir l’aptitude en littératie, c’est perdre potentiellement sa capacité à « être ». Refuser ou manquer à sa responsabilité morale de littératie pour une société, peut donc être interprété comme l’instauration conscience ou inconsciente d’un type bien particulier de coercition sociale.
Une censure ressemblant à un épais bandeau d’ignorance, ou de méconnaissances, sur les yeux de certaines catégories qui leur refuse le plein épanouissement de leurs capacités faute d’avoir les moyens se saisir pleinement de l’information.
De même, la littératie influence la capacité d’«agir ».
De sorte que, dans le domaine sanitaire, la littératie est devenue un enjeu majeur de la promotion de la santé en prenant la mesure factuelle de travailler sur ce défaut ou mauvais investissement communautaire ou individuel à l’information scientifique qui permet de rendre, in fine, effectif l’action en santé.
A nouveau, la pandémie nous a bien prouvé qu’en ce domaine, les défauts de littératie en santé ont seulement créé de la colère et de la frustration provenant du même creuset de la désinformation et de l’incompréhension…
En définitive, la littératie est la clé de « l’empowerment », c’est-à-dire de la capacitation individuelle à avoir et obtenir du pouvoir dans les différents domaines où les personnes pourront étendre leurs connaissances. Puisqu’il s’agit d’obtenir plus de « pouvoir », la littératie soulève un immense questionnement à propos de l’individu et quant à sa place dans la société. Ceci pose les jalons d’un nouveau débat sur l’intérêt et les limites du participatif au cœur de la démocratie.
En ce qui concerne la démocratie sanitaire, la littératie en santé nous propose d’ouvrir discussion analogue. Ouvrir le champ des possibles en littératie en santé, c’est permettre à chacun membre de la société de devenir lui-même acteur de la santé, y compris dans un aspect complémentaire aux services de soins.
Effectivement, l’empowerment initiant à terme l’autonomisation, doit-on voir dans la littératie en santé une promesse de transformation conséquente de notre modèle sanitaire basculant les parcours de soins institutionnels et semi-institutionnels vers une forme totale d’auto-soin ?
L’importance toujours de l’expertise des patients, de la formation de groupes d’éducation thérapeutique et d’apprentissage par les pairs sont des initiatives encore récentes qui laissent entrevoir un avenir tourné vers une génération du « self-management », tel que défini, à ce jour pour la santé mentale, par l’Organisation Mondiale de la Santé.
N’est-ce au final pas ce que nous, professionnels de santé, voulons atteindre comme objectif à notre action de soin ? Contribuer au mieux-être de la personne soignée et favoriser son autonomie par l’encouragement au « faire ».
Rassurons-nous, notre place effective n’en sera pas modifiée quoi qu’il en soit, car où il y a du « faire », il y a du « savoir » et du « faire savoir ». En ce sens, sans pour autant être le farouche gardien d’une toute puissance scientifique, le professionnel de santé de demain sera toujours celui de l’expertise.
Toutefois, il sera d’abord et surtout celui de l’éducation à la santé, facilitateur d’acquisition d’une compétence en littératie de la santé par des ressources documentaires dont il en connaîtra la qualité et veillera à leur accessibilité car, une chose est certaine, « on se lasse de tout, excepté d’apprendre » (Virgile). A nous de savoir faire grandir cette aptitude en chacun !
Pour aller plus loin :
[1] Littératie. Une aptitude qui nous a, sans nul doute, bien manqué en 2020. En effet, à l’heure où les despotes fake-news, bad buzz et autres théories complotises règnent en maître sur les réseaux sociaux, l’on aurait tort de penser que tout à chacun dispose de la « faculté à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail, en collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances, ses capacités »
[2] Santé publique france – « La littératie en santé : un concept critique pour la santé publique »
[4] IREPS Nouvelle Aquitaine – Initiatives & actions en littératie en santé.
Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de la plateforme média digital d’influence ManagerSante.com remercie vivement Alexis BATAILLE , Aide-Soignant et, depuis Septembre 2019, étudiant en Soins Infirmiers au sein d’un Institut de Formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France. pour avoir accepté de partager son expérience, à travers ce nouvel article, pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com.
Biographie de l’auteur :
Aide-soignant diplômé en 2013. Alexis Bataille rejoint le Service de Santé des Armées la même année et servira dans différents Hôpitaux d’Instruction des Armées jusqu’en 2019. Durant son parcours de soignant militaire, Alexis aura en plus l’occasion d’être projeté en opération extérieure mais aussi d’être membre du Conseil de la Fonction Militaire du Service de Santé des Armées.
Dorénavant aide-soignant militaire de réserve, depuis Septembre 2019, Alexis Bataille est étudiant en soins infirmiers au sein d’un institut de formation de la Croix-Rouge Française situé dans le Nord de la France.
En parallèle de son activité professionnelle et étudiante, Alexis Bataille est également membre du comité de rédaction du site infirmiers.com, membre du Cercle Galien et auteur d’un ouvrage intitulé « Vous avez mal où ? Chroniques d’un aide-soignant à l’hôpital » paru chez City Editions en 2019.
[OUVRAGES DE L’AUTEUR]
Préface de cet ouvrage :
Aide-soignant…
S’il fallait oublier le mot « aide » pour ne retenir que celui de « soignant » ? Ignorés du plus grand nombre, sans exposition médiatique – bien que la récente crise sanitaire ait éclairé leurs fonctions – qui parle de ces professionnels du « care », du « prendre
soin » ? Qui leur donne la parole, les écoute et les valorise ?
Je me souviens du témoignage de l’un d’entre eux qui affirmait : « Qu’un geste, un regard, une accolade, une parole ou un fou rire partagé avec la personne dont on a la charge, redonne foi en ce métier, en l’humain. À cet instant précis on sait pourquoi on est là… »
Oui, affirmons-le et ce n’est pas les infirmiers(ères), cadres de santé, médecins… et surtout patients qui nous contrediront : chacun connaît la valeur et le rôle indispensable des aides-soignants au sein d’une équipe soignante. Il n’y a pas si longtemps, le binôme infirmière/aide-soignante était le « duo gagnant » d’une prise en soin optimale. En effet, grâce à
cet apport de compétences mixtes, le temps du soin et du confort s’opérait pour le patient de façon fluide et dans la continuité : du petit-déjeuner à la toilette, en passant par la réfection du lit, la mise au fauteuil, le renouvellement du pansement ou tout autre soin
technique. Nous ne pouvons que constater aujourd’hui combien cette valeur du travail en binôme est malmenée.
Pourtant, ce qui en résulte, grâce notamment au rôle propre de l’aide-soignant qui ne lui est pourtant pas accordé, c’est cette attention, cette disponibilité, cette écoute, cette gestuelle, cette qualité relationnelle et, au-delà, cette observation clinique qui fait toute la différence. Toutes ces qualités sont la valeur-ajoutée du prendre soin dans la « globalité » du patient, un terme tellement usité qu’il en a perdu sa valeur intrinsèque. Quiconque se retrouve en position de « malade » va l’éprouver très vite. Le travail de l’aide-soignant n’est donc pas seulement une aide, il s’agit bel et bien d’un soin précis et réel.
À l’heure où notre système de santé opère nécessairement de profondes mutations, où l’on parle enfin « d’attractivité » dans les métiers du soin, gageons que celui d’aide-soignant, riche d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-être qui lui est propre, puisse exprimer l’essence même de son cœur de compétences. Il est en effet grand temps que de nouvelles perspectives s’ouvrent à lui, qu’il soit reconnu comme professionnel de santé à part entière, et ainsi valorisé comme il le mérite !
Bernadette FABREGAS, Infirmière
Directrice des rédactions paramédicales, Infirmier.com
Groupe Profession Santé @FabregasBern
Interviews de l’auteur :
- Interview – Ministère des Armées (2019)
- Interview – Magazine de la Santé (France 5) (2019)
- Interview – Journée Internationale des Aides-Soignants – R.C.F (2019)
- Interview – Journée Internationale des Aides-Soignants – Infirmiers.com (2017)
[REPLAY L’INTEGRAL DU GRAND COLLOQUE]
?Intervention du Ministre Olivier VERAN , Ministère des solidarités et de la santé
?Intervention de la Ministre Frédérique VIDAL , Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la recherche et de l’innovation.
(ManagerSante.com était partenaire média de ce Grand Colloque)
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