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En quoi la gestion de crise de la #COVID19 s’est-elle révélée aussi une « aventure humaine » inspirante ? Retour d’expérience du Groupe Hospitalier Bretagne Sud.

 

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N°2, Juillet 2020


 

Article publié  pour ManagerSante.com par  Alain PHILIBERT (Directeur Général Adjoint du Groupe Hospitalier Bretagne Sud), en collaboration avec Pierre-Côme BOUCARD , (élève-directeur d’hôpital, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, EHESP).

 

Hôpital du Scorff, lundi 8 juin 2020 au matin, le Directeur général adjoint et le Président de la commission médicale d’établissement annoncent la mise en veille de la cellule de crise COVID-19 du Groupe Hospitalier Bretagne Sud (GHBS).

Une voix s’élève dans l’assistance, celle d’un médecin chef de pôle médical : « Ah, mais moi, je ne suis pas d’accord ! Je ne suis pas d’accord car ce qu’on fait ici est plein de sens. Ce mode de management me convient bien, la parole circule librement et on traite de vrais sujets. Et je souhaiterais que cela continue ainsi, même pour traiter des sujets autres que ceux touchant à la gestion de l’épidémie. On pourrait se réunir ainsi une fois par semaine, et se concerter sur la vie de l’hôpital. »

Malgré tout l’intérêt de cette intervention aussi inattendue que valorisante, il nous a fallu expliquer que la prolongation de ce mode de gestion participatif et direct ne pouvait qu’être temporaire, et que, bien que le plan blanc soit encore actif, l’hôpital se devait de revenir à un mode de gouvernance plus traditionnel, sous réserve de probables évolutions réglementaires inspirées des conclusions du « Ségur de la Santé. »

 

Cette prise de parole nous renvoie à ce qu’a été la gestion de cette pandémie, à savoir une extraordinaire aventure collective, en-dehors des organisations et modes de gouvernance conventionnels, nouant des liens et abattant des barrières entre acteurs institutionnels, dans un contexte d’urgence impérieuse. Une expérience très exigeante mais incroyablement enrichissante.

Dès le 24 janvier, avec le recensement officiel des premiers cas de COVID-19 en France, la pandémie a vraisemblablement ouvert une période-charnière pour le système de santé français. Le Plan ORSAN REB COVID-19 est déclenché sur le territoire français le 23 février, face à l’apparition de plusieurs cas groupés dans diverses régions françaises.

Dans le Morbihan l’identification de neuf personnes testées positivement le 1er mars amènera le préfet à prendre les mesures immédiatement applicables à ce seul département afin de limiter les risques de propagation du virus : interdiction de tout rassemblement sur l’ensemble du département, fermeture des lieux de vie collectifs et limitation des déplacements dans les communes concernées.

Sage décision s’il devait en être une, car elle fut très probablement à l’origine de la maîtrise de la circulation virale dans le département.

Une aventure humaine à part entière

On le sait, l’impact de la pandémie en Bretagne a été sans commune mesure avec celui enregistré dans d’autres régions françaises. Pourtant, nul ne pouvait prévoir au début du mois de mars l’efficacité du confinement sur le territoire breton. Il était dès lors nécessaire de se mobiliser et de participer à la réorganisation pour faire face à celle qu’on a rapidement nommé « la vague ». Au Groupe Hospitalier Bretagne Sud (GHBS), dès le 2 mars, les énergies étaient déjà toutes tendues vers l’organisation d’une réponse sanitaire concertée et coordonnée à cette maladie, sous la pression du cluster voisin.

Les activités de soins sont à ce point complexes que, pour garantir aux patients un parcours de soins aussi performant que possible, les acteurs ont besoin de coordonner sans cesse leur action. Face à une crise sanitaire majeure, ce besoin est amplifié et immédiat.

C’est pourquoi le GHBS a mobilisé une cellule de crise dès le 2 mars matin, suivie d’une audioconférence avec l’Agence Régionale de Santé (ARS) dans l’après-midi, ainsi qu’une assemblée des cadres et médecins le soir. La cellule de crise se réunira quotidiennement pendant plusieurs semaines, avant d’espacer ses réunions au fil de l’évolution de l’épidémie, pour finalement décider de se mettre en veille. Y ont été invités tous les acteurs, internes ou externes, nécessitant un échange ou une validation, au gré de l’actualité.

Un lien fort s’est créé avec l’ARS, d’une part, la Fédération Hospitalière de France (FHF) et les sept autres établissements supports de Groupement Hospitalier de Territoire (GHT) bretons, d’autre part, via des audioconférences quotidiennes puis hebdomadaires, instituant de nouveaux moments de dialogue primordiaux.

L’échelon du territoire de santé Lorient/Quimperlé[1] s’est révélé, notamment sous l’impulsion du GHBS, être un espace de concertation de crise essentiel. Ainsi, une cellule de crise territoriale a très vite été réunie entre les établissements autorisés en chirurgie du territoire, à raison de deux à trois par semaine au pic des réorganisations. Cette cellule a permis aux deux cliniques et à l’hôpital d’établir un plan de réorganisation de la chirurgie sur le territoire et d’assurer la synchronisation de la reprise d’activité en chirurgie.

Une autre cellule élargie a été réunie à intervalles réguliers avec l’ensemble des établissements sanitaires et médico-sociaux du territoire pour organiser les parcours patients en sortie d’hospitalisation et à domicile, et de partager les problématiques et possibilités dans les organisations face à l’épidémie.

Ces espaces de concertation territoriaux ont permis un rapprochement entre acteurs de soin du territoire, quel que soit leur statut, avec des réussites inédites, comme la réalisation d’interventions chirurgicales publiques au sein des blocs opératoires des cliniques.

Le déclenchement du plan blanc le 16 mars aura marqué l’entrée du GHBS dans une organisation de crise en plusieurs phases, dont l’objectif était d’assurer la capacité de l’établissement à assurer la prise en charge des malades dans des unités dédiées, notamment et avant tout en réanimation. Ce plan a donc eu pour fil conducteur la capacité en réanimation de l’établissement.

Le déclenchement de la phase 1 a marqué à partir du 16 mars la déprogrammation de toutes les activités qui pouvaient l’être sans perte de chance pour le patient.

Cette première mesure s’est accompagnée d’une profonde réorganisation du GHBS en coordination étroite avec les autres établissements de santé : augmentation des capacités de réanimation de dix à seize lits, identification d’unités dédiées COVID-19 sur les sites de Lorient et Quimperlé, transformation des unités de chirurgie ambulatoire et d’hospitalisation de courte durée en zones tampons destinées à recevoir les patients en attente de résultats, réorganisation des services d’urgences de Lorient et Quimperlé.

Une aventure humaine entièrement à part

La phase 2, tournée vers l’extérieur, a permis, dès le 23 mars, d’activer des solutions de prises en charge déportées : déploiement de deux équipes mobiles de gériatrie vers les EHPAD du territoire, mise en œuvre d’une astreinte téléphonique de soins palliatifs, ouverture temporaire de 8 lits de réanimation déportés à Pontivy, première phase de délocalisation des lits de chirurgie sur le territoire.

Localement, le territoire de santé avait déjà été marqué par l’apparition le 16 mars d’un premier foyer épidémique dans un EHPAD du territoire. Face à l’inaction de la direction de cet EHPAD, le GHBS a dépêché sans attendre et sur place un praticien et mobilisé les partenaires du territoire pour venir en soutien à une direction absente et à une équipe en totale déshérence.

Le 4 avril, l’ARS Bretagne annonçait l’organisation d’une nouvelle évacuation collective de patients franciliens vers la Bretagne. Deux trains sanitaires allaient être mobilisés le dimanche 5 avril, dont un en direction du Sud Bretagne, et notamment Lorient. Dans un contexte de relative crispation interne des équipes dans l’attente de cette vague qui n’arrivait pas, la mobilisation des forces vives autour de ce projet fédérateur, parce que porteur de l’idée de solidarité nationale, a représenté un défi collectif exceptionnel.

Force est de reconnaître que c’est une idée de folie que de vouloir transférer autant de patients de réanimation en train et pour des durées aussi longues. La prise de risque médical est loin d’être nulle, mais quel pari humain, médical et logistique ; un pari qui se révéla, au bout du compte, gagnant !

Le GHBS n’a été informé de cette opération d’évacuation sanitaire que soixante-douze heures avant  la projection de ses professionnels vers la région parisienne, nécessitant une organisation complexe en un temps record. L’opération a cependant été menée à bien et, le dimanche 5 avril en début d’après-midi, neuf nouveaux patients étaient installés à l’hôpital du Scorff, obligeant le GHBS à passer en phase 3 avec huit lits de réanimation supplémentaires ouverts au sein du bloc opératoire.

Avec la baisse d’activité liée à la prise en charge des patients lourds atteints du COVID-19 et la sortie, le 20 avril, des patients de réanimation hospitalisés au sein du plateau technique interventionnel du GHBS, l’organisation mise en œuvre a été redimensionnée, ouvrant une phase de préparation à la réorganisation de l’activité médico-chirurgicale et à la reprise progressive et sécurisée de l’activité.

Une aventure humaine riche d’enseignements

Le pilotage de la gestion d’un tel événement en cellule de crise n’est pas une nouveauté. Les outremers nous en apportent la preuve régulièrement, et l’exemple récent le plus spectaculaire est assurément l’incendie du CHU de la Guadeloupe, déjà décrit dans un article publié sur ce même site début 2019.

En revanche, la pratique est moins courante en métropole. Aussi, les trois longs mois qui viennent de s’écouler sous régime de cellule de crise sont à ce titre porteurs d’une façon différente de piloter l’hôpital, qui laissera vraisemblablement des traces dans les esprits.

La cellule de crise, cette instance non codifiée qui se substitue parfois aux instances consultatives légales et réglementaires, est surtout ce que ses membres en font. Celle du GHBS a su s’approprier collectivement les problématiques quotidiennes, les faire siennes, et apporter les éclairages avis et conseils nécessaires au binôme de gouvernance, constitué du directeur général et du président de la commission médicale d’établissement.

La cellule de crise s’est appuyée sur une force collective qui s’est construite au fil des réunions et des échanges. En effet, les crises ont cette vertu de rapprocher les gens, de faire tomber les barrières, de faire circuler la parole et de faire s’écouter les uns les autres. Les crises bousculent l’individuel et enrichissent le collectif, ce dans un seul but, mieux vivre ensemble pour être efficace ensemble.

L’intelligence du leader de la cellule tient dans sa capacité à faire émerger les idées utiles, à donner toute sa dimension à cette intelligence collective indispensable, et à permettre à chacun d’oser s’exprimer librement, dans le respect de l’auditoire. C’est cette capacité qui emporte l’adhésion des participants, notamment soignants et médicaux, à ce mode de cogestion inhabituel, démocratique et participatif.

Pour qu’une telle organisation pluridisciplinaire fonctionne, il est indispensable, d’une part d’en officialiser la composition, et d’autre part de faire de la circulation de l’information une priorité institutionnelle de gouvernance.

La crise transforme le rapport au temps : au plus fort des réorganisations, toute information pouvait être rendue caduque en l’espace de quelques heures et toute décision de la cellule devait être suivie d’effet dans un temps record. Assurer un égal niveau d’information entre tous les managers de l’établissement était donc un défi permanent, d’où la nécessité de partage d’un relevé de décisions de chaque cellule.

Le besoin d’information se manifeste également vis-à-vis de l’ensemble des professionnels du GHBS, à qui la direction de l’établissement devait la plus grande transparence possible, dans un contexte où adrénaline et stress sont au plus haut dans les équipes. Cela s’est concrétisé par la création d’une lettre d’information diffusée à l’ensemble des agents, reprenant et simplifiant les comptes rendus de cellule sous un format adapté aux besoins des professionnels. Cette initiative a reçu un écho très favorable.

Enfin, le dialogue avec les organisations syndicales ne saurait être négligé au nom de la crise, y compris dans un contexte de suspension des instances de dialogue social habituelles. Ainsi, l’instauration d’un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) hebdomadaire à la composition restreinte a permis de maintenir ce dialogue social tout au long de la période de crise.

Parce qu’il faut agir vite et efficacement, la crise met à mal la « résistance passive »[2], c’est-à-dire l’ensemble des comportements et habitudes, conscients ou non, qui entravent l’adaptation au changement et génèrent de l’inertie dans les organisations hospitalières.

Le GHBS en a fait l’expérience à différents niveaux, avec par exemple l’élargissement du télétravail et de la télémédecine en l’espace de quelques semaines, ou encore un plan de réorganisation ambitieux et réussi avec les établissements privés du territoire dans un domaine aussi concurrentiel que la chirurgie.

Dès lors, l’expérience du COVID-19 amène à réfléchir sur le management hospitalier et invite à capitaliser sur les réussites de ce moment si particulier.

La richesse des points de vue et du partage en cellule de crise ne peut qu’inviter à l’association la plus large possible à la construction des projets et au processus de décision en général. Les décloisonnements entre pôles, entre services, entre directeurs et praticiens, sont ainsi riches d’enseignement pour la gouvernance hospitalière, et cela même si le directeur général reste seul responsable des décisions et de leurs conséquences. Cela ne peut qu’encourager à favoriser l’apprentissage collectif et la création de liens entre équipes et services, permettant la mise en place de processus de décision participatifs et efficaces.

La crise, c’est également pour l’hôpital la rencontre d’acteurs qui contribuent à l’intérêt collectif au-delà de ses propres murs. Cela permet de nouer des liens inédits, y compris entre acteurs du public et du privé. Le maintien de ces liens et des espaces de concertation établis pendant le temps de l’épidémie est apparu nécessaire à l’ensemble des représentants des établissements du territoire de santé. En effet, une fois venu le retour à un fonctionnement « normal » des établissements du territoire, il a été demandé que ce mode d’animation territoriale s’inscrive dans la durée, sous la responsabilité du GHBS. Rendez-vous a été pris pour septembre prochain.

A titre de conclusion provisoire

Les crises changent nécessairement les rapports humains dans la mesure où, face à un désordre sanitaire de grande ampleur, seul on n’est rien. La vraie seule qualité qui vaille alors, c’est l’humilité, celle qui permet la prise en compte de la parole de chacun.

Le mode collégial nivelle en effet les hiérarchies, dans la mesure où ce ne sont pas des grades qui cogèrent l’événement, mais des professionnels reconnus pour leurs compétences, leur savoir-faire et leur savoir-être. Il appartient alors au décideur hospitalier de tirer de cette aventure collective les enseignements nécessaires et de faire vivre au quotidien ceux-ci et les valeurs portées au cours de la crise.

En cela, la démarche de retour d’expérience, d’ores et déjà engagée au GHBS, permettra de tirer les enseignements nés de la gestion de la pandémie en cours.

 


Pour aller plus loin : 

[1] Environ 300 000 habitants, avec un GHT ne comptant que 2 établissements : le GHBS et l’Établissement Public de Santé Mentale Charcot.

[2] http://gestions-hospitalieres.fr/resistance-passive-a-lhopital/


Nous remercions vivement Alain PHILIBERT (Directeur Général Adjoint du Groupe Hospitalier Bretagne Sud)en collaboration avec Pierre-Côme BOUCARD , (élève-directeur d’hôpital, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, EHESP), pour partager leur expérience professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

 

 


Biographie d’Alain PHILIBERT :
Alain Philibert, était Directeur Général adjoint du CHU de Guadeloupe.
A chaque poste occupé, il a su faire preuve d’une grande faculté d’adaptation et un parcours aussi atypique que riche et varié, construit sur :
  • une mobilité géographique : France métropolitaine et Outre mers (Réunion et Guadeloupe)
  • une mobilité sectorielle : Entreprises commerciales privées, Hôpital public, Fondation reconnue d’intérêt général, Etablissement de soins privé non lucratif, Groupement de coopération sanitaire, Groupement d’intérêt économique
  • une mobilité professionnelle : Gérant, Employé administratif, Chef de service, Chargé de missions, Directeur Adjoint, Administrateur délégué, Chef d’établissement, Directeur général adjoint, une expérience en Agence Régionale de Santé ARS (pendant 5 ans comme chargé de missions à l’ARS Guadeloupe).
Aujourd’hui, depuis le 1er janvier 2019, Alain Philibert occupe le poste de Directeur Général Adjoint du Groupe Hospitalier Bretagne Sud (GHBS) .

 


[OUVRAGE DISPONIBLE DEPUIS LE 15 Février 2020]

 

 

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