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Soigner le système de santé ? Oui mais comment ? Denis BISMUTH nous livre ses réflexions.

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Article rédigé par Denis BISMUTH, membre de l’EMCC France (European Mentoring and Coaching Council) et animateur de la commission recherche. Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.*


N°1, Juillet 2020


 

Il semble que la #Covid19 a été la révélatrice d’un certain nombre de dysfonctionnements sociaux et organisationnel. La presse dans son intégralité s’est faite écho d’un changement radical à venir[1]. Il y a un « avant » et un « après » Covid19 pour le système de santé. Il a sans doute permis de faire passer la question de l’innovation dans le système de santé du statut d’important au statut d’urgent. Les grandes crises ont toujours été l’opportunité d’innovation. Le dernier numéro de la revue Gestion de HEC Quebec[2] pose ainsi la question : et après ? redémarrer ou réinventer ?

Au-delà des innovations sanitaires en termes de soins et de prévention qui ne manqueront pas de se faire jour, la question de l’innovation touche aussi l’organisation du secteur de la santé.  La crise de la  #Covid 19 a introduit une rupture dans l’équilibre de l’organisation du système de santé. Une rupture qui le contraint à la transformer et à se réinventer notamment en matière d’organisation et de management.

Soigner le système de santé, une question de moyen ?

Les autorités ont, dans l’urgence de la situation, décidé d’une revalorisation de la rémunération des métiers de la santé, considérés comme plutôt mal payés en France en comparaison avec d’autres pays selon les chiffres de la Drees[3].

Si la juste rémunération est une réponse adaptée à l’urgence de la situation, à long terme cette réponse peut s’avérer peu efficace pour répondre aux attentes des soignants en termes de conditions de travail et surtout de santé professionnelle. Investir dans les outils digitaux pour réduire les coûts semblent une proposition logique, mais si cet investissement consiste à renforcer par le digital les sources de mal être et les mécanismes de contrôle, il y a de grandes chances que les gains de productivité et le bien-être des agents ne soient pas au rendez-vous.

Organiser la transformation avec l’engagement des professionnels

Que ce soit pour relever l’économie d’un pays après une guerre, ou relancer une entreprise en grande difficulté, la stratégie employée a toujours été la même : favoriser l’engagement des acteurs en mettant en place une organisation responsabilisante et apprenante. C’est l’exemple de Toyota qui s’inspira des outils de la relance de l’industrie Américaine. C’est Solac Fos dans les années difficiles de l’aciérie Française[4] qui s’en est remis à l’engagement actif de ses salariés pour redresser l’entreprise. On pourrait ainsi multiplier les exemples des entreprises qui ont fait le choix de responsabiliser leurs salariés et qui ont su mettre en place des stratégies d’apprenance source d’engagement, d’adaptabilité et surtout d’efficience.

Des entreprises prises dans des enjeux cruciaux de productivité et de fiabilité en même temps que d’adaptabilité et qui ont choisi de faire le pari de l’intelligence et de la loyauté de leurs salariés et ont ainsi réalisé des gains de productivité certes, mais surtout des gains en fiabilité et en fidélisation de leurs salariés.

Organiser la confiance et la coopération

Soigner la santé c’est reconstruire un système de santé qui s’accorde avec l’évolution d’une société complexe et incertaine et ses exigences d’adaptabilité en continue.

Plutôt que d’investir dans le renforcement des systèmes de contrôle, soigner la santé c’est d’abord et avant toute chose changer de modèle d’organisation. Alléger l’organisation du contrôle en renforçant l’organisation de la responsabilisation.

Le système de santé français porte comme un fardeau une organisation encore très bureaucratique contrôlant[5].  Pourtant, dans notre pays, d’autres corps institués comme l’armée ont su évoluer sous la pression de l’environnement. Mais le système de santé est resté dans une rigidité bureaucratique qui coûte beaucoup plus cher que les économies qu’on pourra réaliser dans une transformation organisationnelle.

On comprend bien que la santé est un secteur sensible. La nécessité d’une sécurité dans un tel secteur pourrait faire penser qu’il est indispensable de démultiplier les systèmes de contrôle. Que seule une organisation bureaucratique peut assurer le contrôle nécessaire pour assurer cette sécurité.

En réalité on s’aperçoit au travers d’expériences conduites un peu partout dans le monde que le renforcement du contrôle est une cause d’un désengagement et d’une fatigue psychique des personnels et donc source d’erreurs .

On sait par expérience que l’organisation bureaucratique produit du désengagement et freine les possibilités d’adaptation[6]. Il y a dans le fonctionnement bureaucratique un sous-entendu de défiance par rapport au personnel. Il est nécessaire de les contrôler parce qu’on n’est jamais sûr de leur compétence et de leur loyauté.

Or la grève sacrificielle qu’a conduit les soignants est le meilleur discours sur leur loyauté. Quant à leurs compétences, si les directions bureaucratiques du système hospitalier en doutent, c’est plutôt une remise en question de son système de formation et de recrutement. Mais tout au contraire montre que c’est l’organisation bureaucratique qui produit de l’incompétence.

Moins de contrôle et plus de confiance c’est possible

La plupart des travaux de recherche sur le management montrent que, comme disait Pierre Rosanvallon[7], « la confiance est un économiseur d’institution ».

On peut rappeler ici comme le montre Eric Morel[8] qu’il y a moins de risque d’erreur de décision dans les hôpitaux comme dans le transport aérien quand on fait confiance aux opérateurs et qu’on autorise le personnel à participer aux décisions et qu’on rend la confrontation légitime et peu risquée.

Le contrôle est un poids mort dans les secteurs d’activité en tension où il est nécessaire de développer une adaptabilité et une réactivité de tous les instants.

Réinstaller les acteurs dans leur autorité est une des conditions de leur agilité et de leur santé professionnelle dans un environnement incertain comme dit le général Desportes[9] qui montre comment une institution a su par certains cotés s’adapter dans ses modes d’action sous la pression de l’environnement.

Ce n’est pas « plus de contrôle » qui permet de réduire le risque d’erreur . Comme le rappelle Christian Sicot [10] : « La théorie développée par James Reason, professeur de psychologie et spécialiste de l’erreur humaine est la suivante : il est impossible de supprimer l’erreur du fonctionnement humain et ce, quelle que soit la qualité? de la formation des personnels. Il est donc nécessaire d’intégrer a? tout système complexe des mécanismes de lutte contre les erreurs ». La théorie de James Reason prend d’autant plus d’importance qu’une autre des conclusions du rapport To Err is Human est que « la première cause des erreurs médicales n’est pas l’incompétence des professionnels de santé?, mais l’insécurité? du système dans lequel ils exercent ».

Dans son ouvrage sur les décisions absurdes Morel montre que les risques d’erreur majeure que ce soit dans l’aviation ou dans les services hospitaliers est considérablement réduit quand il est possible sans risque de mener des controverses et pour les soignants d’apporter un regard différent sur les décisions prises par leur hiérarchie.

 « Aux USA l’institut de médecine de la national academy of sciences, préoccupée par le taux alarmant d’erreur médicale, a recommandé que l’organisation de la santé organise des programmes de formation au travail en équipe pour le personnel des activités de soins critiques. En utilisant les méthodes éprouvées telles que les techniques de formation au management des ressources d’équipage utilisés dans l’aviation »[11].

L’observation montre que les équipes chirurgicales les plus efficaces sont celles où la discussion intensive a non seulement été facilitée à l’intérieur de l’équipe mais aussi étendue aux différents métiers à l’extérieur comme l’échographie ou la salle de réveil.[12]

Les équipes les plus performantes sont celles dont les responsables ont fortement atténué les symboles et les prérogatives de la hiérarchie : atténuer les dénivellations de pouvoir[13].

On peut obtenir des gains en productivité par la baisse des erreurs, on peut parier sur une  fidélisation des salariés  et un meilleur engagement de leur part, avec une transformation managériale au coût tout à fait minime.

Soigner le système de santé c’est d’abord et avant tout rétablir le personnel dans sa légitimité à décider de son organisation et de ses pratiques au quotidien.

Produire de l’engagement et de la compétence est une condition de la santé professionnelle d’une population fortement sollicitée comme le management ou les personnels de santé.

Instituer  et outiller la confrontation

Faire du débat contradictoire une valeur fondamentale de l’institution[14]

Comme le dit Yves clot[15] « il est nécessaire d’instituer la confrontation »

La confrontation n’est pas l’affrontement. Elle suppose l’emploi d’outils pour que le débat contradictoire ne se transforme pas en pugilat.

Pour cela  il est nécessaire que ce débat soit institué et organisé.

 

Des outils pour développer la co-responsabilité et l’engagement

Il ne suffit pas de déclarer et de décider qu’une entreprise doit être collaborative et responsabilisante pour qu’un système devienne soudain coopératif, délégatif et responsabilisant.

Ce choix de stratégie managériale repose sur l’utilisation d’outils et de méthodes qui vont pouvoir par la formation et avec le temps, permettre aux opérationnels de partager des méthodes et des manières de communiquer. Travailler ensemble cela s’apprend et cela suppose des méthodes partagées. Ces méthodes sont trop nombreuses pour être détaillées ici.

On citera par exemple les outils du toyotisme comme le Quick Response Quality Control (QRQC) ou le  Training Within Industry  (TWI) [16]. La spécificité  de ces outils  réside en ce que ce sont les outils d’auto questionnement (individuel) ou d’inter-questionnement (en équipe) qui structurent et organisent l’introspection pour permettre des décisions ajustées et partagée.

Ces outils sont ce que Bourdieu appelait des « structures structurantes »[17] dont la fonction est d’organiser la confrontation pour la rendre fructueuse. Eviter ainsi que la confrontation ne devienne affrontement.

Ces outils ont pour fonction d’organiser une dynamique de la coopération dans une situation complexe et incertaine sans qu’il soit besoin que la cohésion soit assurée par une tyrannie bureaucratique. Il s’agit bien de déplacer le barycentre de l’autorité dont la fonction est de produire de la cohésion. La complexité et l’incertitude mettent les organisations devant la nécessité de revisiter la manière dont elles allouent l’autorité.

La cohésion est vitale pour qu’un collectif fonctionne d’une manière efficace. Une cohésion assurée traditionnellement par la bureaucratie et ses règles intangibles ne peut plus être garantie par une autorité bureaucratique lorsque l’environnement est incertain et complexe. Une cohésion d’ensemble qui ne peut être assurée que par la délégation de l’autorité et des compétences de régulation du collectif aux opérationnels.

En conclusion

Soigner la santé publique c’est, peut être en partie, rendre son organisation cohérente avec l’environnement socio économique avec lequel le système hospitalier est en interaction. L’évolution rapide des techniques, l’émergence de changements rapides dans l’environnement dûs à la mondialisation, le turn over des salariés, le déficit en compétences, sont autant de facteurs qui ont conduit depuis déjà quelques années, les entreprises industrielles à mettre en place des stratégies leur permettant de faire face à un environnement complexe et incertain. On a vu, au travers de phénomènes de mode[18] comme l’entreprise « libérée », « agile » ou « responsabilisante », émerger des tentatives balbutiantes de répondre aux enjeux de transformation d’un environnement complexe et incertain. Enjeux qui contraignent au développement de l’autodétermination des équipes et des individus et plus généralement à la délégation d’autorité.

L’organisation de la santé a tout intérêt à se doter de ces outils et techniques qui permettent à chacun de reprendre autorité sur son activité, développer la co-responsabilité, développer en continu les compétences collectives et individuelles. Prendre les bonnes décisions au bon niveau en toute responsabilité. Ainsi permettre à chacun de trouver sa juste place entre l’engagement sacrificiel qui peut conduire au burn-out, et le désengagement qui est souvent le dernier recours salvateur.

 


Pour aller plus loin : 

[1] Opinion | Quel système de soin après le virus ?

[2] Gestion HEC Quebec : N°21 été 2020

[3]Rémunération des médecins et des infirmiers : comparaisons internationales

[4] L’aventure sidérurgique de fos sur Mer 

[5] Julien Husson : Bureaucratie hospitalière : chronique d’une méthodique construction, 18 mai 2020, Directeur de l’IAE Metz School of Management, Université de Lorraine

[6] Comprendre le désengagement pour éclairer l’engagement au travail : une étude exploratoire des agents publics helvétiques 

[7] Pierre Rosanvallon : la contre démocratie

[8] Eric Morel les décisions absurdes et comment les éviter.

[9] Gal Desportes : décider dans l’incertitude.

[10] In CONNAI?TRE OU PUNIR LES ERREURS ? par Christian MOREL Sociologue Auteur des De?cisions absurdes (Gallimard) Christian SICOT Ancien chef de service de re?animation Ancien secre?taire ge?ne?ral du SOU Me?dical, socie?te? d’assurances des professions de sante? Daniel SOULEZ LARIVIE?RE Avocat au barreau de Paris, Soulez Larivie?re & Associe?s

[11] E.Morel P 215 les decisions absurdes. Folio Essais 2004

[12] E.Morel P 82 op.cit.

[13] E.Morel P 83 op.cit.

[14] E. Morel p75  op.cit.

[15] Yves Clot :  Le travail à coeur Pour en finir avec les risques psychosociaux.   La Découverte, 2015

[16] Quick Response Quality Control et Training Within Industry

[17]Structure structurante ” et ” structure structurée ”, ” histoire incorporée faite nature ” : l’habitus entre sujet et personne, Jean-Michel Le Bot

[18] Laurence Malherbe  Sur le chemin d’un management responsable et… libéré ! 

Nous remercions vivement Article rédigé par Denis BISMUTH, membre l’EMCC France  et animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council (fédération de coach). Il est Dirigeant du cabinet de coaching Métavision) et auteur de plusieurs ouvrages.,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com


Biographie de l’auteur : 

Denis BISMUTH est membre et  Animateur de la commission recherche de l’European Mentoring and Coaching Council  EMCC France (fédération de coach).
Dirigeant du cabinet de coaching Métavision depuis 2000, il accompagne des grands groupes industriels comme des PME et des entreprises du secteur social qui font le choix de faire évoluer leurs pratiques managériales dans  le sens d’une responsabilisation des acteurs. Il a développé une modalité de professionnalisation par la supervision :
les groupes de coprofessionnalisation© qui lui permettent de superviser le management intermédiaire, les coaches et les dirigeants.
Spécialisé dans l’Audit d’entreprise et de centres  de formation innovants il les accompagne dans leur transformation vers une organisation apprenante.
Il est également auteur de nombreux articles publiés dans l’excellente revue HBS (Harvard Business Review)

 


[OUVRAGES PUBLIES PAR L’AUTEUR]

 


 

[VIDÉO DE PRÉSENTATION DE L’OPÉRATION SOLIDAIRE 4X4]

 

FLASH INFO


[Bilan de l’expérience dans cette VIDEO]

(le 25 Juin 2020)

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Denis BISMUTH

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