N°33, Janvier 2020
Nouvel Article écrit par Eric, DELASSUS, (Professeur agrégé Lycée Marguerite de Navarre de Bourges et Docteur en philosophie, Chercheur à la Chaire Bien être et Travail à Kedge Business School).
Il est auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus récent est publié en Avril 2019, portant le titre suivant : « La philosophie du bonheur et de la joie : le bonheur à l’hôrizon« , aux Editions Ellipses.
Aujourd’hui, la mode est à la bienveillance, et c’est tant mieux. Que ce soit en pédagogie ou dans la manière de manager les personnels, il est toujours préférable de veiller au bien de ceux dont on la charge. Trop longtemps, les relations humaines ont reposé sur la méfiance, sur l’idée que les personnes dont on a la responsabilité sont nécessairement réticentes à exercer les tâches qui leur sont dévolues.
Or, cette attitude est le plus souvent celle de la minorité. Généralement, la majorité est animée du désir de bien faire et ce n’est qu’une minorité qui fait preuve de désinvolture ou manifeste ce que l’on a coutume d’appeler de la mauvaise volonté. Il n’empêche que très fréquemment, c’est relativement au comportement de cette minorité que sont élaborés les principes en fonction desquels les personnels seront dirigés.
Qu’est-ce que le management par la « bienveillance » ?
Le management par la bienveillance consiste plutôt à adopter la démarche inverse et à penser l’accompagnement des personnels en partant du principe que chacun à le désir de faire correctement son travail et de progresser dans la maîtrise de ce dernier. Pour cela, il convient de faire en sorte que chacun saisisse le sens de ce qu’il fait et se sente reconnu en fonction des efforts qu’il fournit.
Néanmoins, si ce type de management a le vent en poupe, il n’en prête pas moins le flan à certaines critiques. Il est souvent accusé de faire preuve de naïveté ou de démagogie. Soit on lui reproche de vivre dans un monde imaginaire, comparable à celui des «bisounours » dans lequel tout le monde serait beau et gentil, soit on lui reproche d’en rester au seul niveau des apparences et de revenir à des méthodes plus dures dès qu’un problème se pose.
En clair, on resterait bienveillant quand tout va bien, mais dès que les choses tournent au vinaigre, on se soucierait beaucoup moins du bien des gens et l’on adopterait à nouveau l’attitude qui consiste à « gérer » les ressources humaines de la même manière que des choses sans âme.
Ces deux critiques ne sont pas toujours sans fondement, la bienveillance donne parfois lieu au laxisme ou dissimule parfois une pratique des plus hypocrites.
Pour éviter ces deux écueils, il semble nécessaire d’insister sur la nécessaire alliance à établir entre exigence et bienveillance. Cette alliance, bon nombre de managers la mettent en pratique sans l’avoir nécessairement théorisée. Néanmoins, il est toujours bon d’analyser et d’expliquer les choses pour asseoir leur légitimité.
Trop souvent, au nom de la bienveillance, on laisse faire, on tolère quelques manquements au souci d’excellence de l’organisation pour laquelle on travaille. Or, procéder ainsi, n’est-ce pas finalement être malveillant. Malveillant, non seulement pour l’organisation, mais aussi et surtout pour les personnes dont on exige pas qu’elles donnent le meilleur d’elles-mêmes, non seulement pour le bien de l’organisation, mais également pour leur bien propre.
Il ne s’agit pas, bien entendu, d’être exigeant au point de leur demander plus qu’elles ne peuvent. Cette manière de faire serait totalement irresponsable, voire perverse, puisqu’elle n’aurait comme conséquence que de maintenir la personne dans une situation d’échec permanent, ce qui serait d’un point de vue éthique totalement inhumain et d’un point de vue plus technique complètement contre-productif. Une telle manière de procéder relèverait donc, en effet, de la plus totale malveillance.
Qu’est-ce que faire preuve d’une « bienveillance exigeante » ?
Faire preuve d’une bienveillance exigeante, c’est demander à l’autre de faire de son mieux, mais c’est aussi est surtout lui signifier que l’on croit en lui, qu’on le sait capable de progresser et que l’on est disposé à tout faire pour l’aider à y parvenir.
À l’inverse, se contenter de peu et finalement ne pas permettre à l’autre de progresser et laisser s’installer des conditions le contraignant à stagner et se maintenir dans une certaine médiocrité, c’est aussi de la malveillance, c’est le signe d’un grand mépris.
Être bienveillant, veiller au bien de l’autre, demande beaucoup d’attention et d’espoir envers l’autre, pour l’aider à développer ses aptitudes. La bienveillance n’est authentique que si elle s’accompagne de respect.
Le respect consiste dans le sentiment que m’inspire la reconnaissance de la valeur de l’autre. Cette valeur, lorsqu’elle est affirmée, lorsqu’elle est reconnue, ne demande alors qu’à s’exprimer. Cela se manifeste dans le gouvernement des hommes à tous les niveaux. C’est pourquoi l’exigence bienveillante ou la bienveillance exigeante sont également un remède contre la démagogie ou l’hypocrisie. Il ne s’agit pas de « raconter des histoires », car être exigeant vis-à-vis d’autrui, c’est refuser de se dissimuler, c’est au contraire montrer à l’autre ce que l’on attend de lui tout en lui montrant ce dont il est capable.
Ainsi, l’élève en qui l’on croit et dont on exige beaucoup, s’il perçoit que l’on croit en lui, finira le plus souvent par progresser. C’est donc la confiance qui fait progresser les hommes et qui est partie prenante de la bienveillance.
Avoir confiance, avoir foi en l’autre, c’est là le secret d’une collaboration fructueuse et respectueuse des aptitudes de chacun. Aussi, si la bienveillance est une exigence morale, elle se doit pour être pleinement elle-même d’être une bienveillance exigeante, c’est-à-dire espérant dans la capacité de l’autre à donner le meilleur de lui-même.
Alain a écrit à ce sujet un très beau texte que je ne peux que vous inviter à lire pour conclure cet article :
« Je puis vouloir une éclipse, ou simplement un beau soleil qui sèche le grain, au lieu de cette tempête grondeuse et pleureuse ; je puis, à force de vouloir, espérer et croire enfin que les choses iront comme je veux; mais elles vont leur train. D’où je vois bien que ma prière est d’un nigaud. Mais quand il s’agit de mes frères les hommes, ou de mes sœurs les femmes, tout change. Ce que je crois finit souvent par être vrai. Si je me crois haï, je serai haï ; pour l’amour, de même. Si je crois que l’enfant que j’instruis est incapable d’apprendre, cette croyance écrite dans mes regards et dans mes discours le rendra stupide ; au contraire, ma confiance et mon attente est comme un soleil qui mûrira les fleurs et les fruits du petit bonhomme. Je prête, dites-vous, à la femme que j’aime, des vertus qu’elle n’a point ; mais si elle sait que je crois en elle, elle les aura. Plus ou moins ; mais il faut essayer; il faut croire. Le peuple, méprisé, est bientôt méprisable; estimez-le, il s’élèvera. La défiance a fait plus d’un voleur; une demi-confiance est comme une injure ; mais si je savais la donner toute, qui donc me tromperait ? Il faut donner d’abord. ».
ALAIN , Propos d’une normand, I, Gallimard, 1952, Propos CXX, pp. 226-228.
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Nous remercions vivement notre spécialiste, Eric, DELASSUS,Professeur agrégé (Lycée Marguerite de Navarre de Bourges) et Docteur en philosophie , co-auteur d’un nouvel ouvrage publié en Septembre 2018 intitulé « Ce que peut un corps » aux Editions l’Harmattan, de partager son expertise en proposant des publications dans notre Rubrique Philosophie & Management, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteur :
Professeur agrégé et docteur en philosophie (PhD), j’enseigne la philosophie auprès des classes terminales de séries générales et technologiques, j’assure également un enseignement de culture de la communication auprès d’étudiants préparant un BTS Communication.
J’ai dispensé de 1990 à 2012, dans mon ancien établissement (Lycée Jacques Cœur de Bourges), des cours d’initiation à la psychologie auprès d’une Section de Technicien Supérieur en Économie Sociale et Familiale.
J’interviens également dans la formation en éthique médicale des étudiants de L’IFSI de Bourges et de Vierzon, ainsi que lors de séances de formation auprès des médecins et personnels soignants de l’hôpital Jacques Cœur de Bourges.
Ma thèse a été publiée aux Presses Universitaires de Rennes sous le titre De l’Éthique de Spinoza à l’éthique médicale. Je participe aux travaux de recherche du laboratoire d’éthique médicale de la faculté de médecine de Tours.
Je suis membre du groupe d’aide à la décision éthique du CHR de Bourges.
Je participe également à des séminaires concernant les questions d’éthiques relatives au management et aux relations humaines dans l’entreprise et je peux intervenir dans des formations (enseignement, conférences, séminaires) sur des questions concernant le sens de notions comme le corps, la personne, autrui, le travail et la dignité humaine.
Sous la direction d’Eric Delassus et Sylvie Lopez-Jacob, il vient de co-publier un nouvel ouvrage le 25 Septembre 2018 intitulé » Ce que peut un corps », aux Editions l’Harmattan,
DECOUVREZ LE NOUVEL OUVRAGE PHILOSOPHIQUE
du Professeur Eric DELASSUS qui vient de paraître en Avril 2019