Article proposé par notre expert, Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles)
N°6, Novembre 2018
Dans une opération de changement sur un système à composantes humaines, la principale difficulté est de trouver la stratégie appropriée pour gérer les inévitables résistances des acteurs et les mobiliser dans la direction choisie (en l’absence d’opposition, il suffirait de dérouler une succession d’étapes de transformation pour passer d’un mode de fonctionnement à un autre).
On cherchera donc à identifier les actions qui permettront de lever ces résistances. Ensuite, on les contournera ou on les utilisera comme une ressource. Sans omettre de prévoir des modalités de régulation pour gérer celles qui se manifesteront en cours de route. Là réside tout l’intérêt, toute l’opportunité, toute l’efficience de la démarche systémique.
La pratique m’a démontré qu’il n’existe pas plusieurs solutions, comme on l’affirme, à juste titre, pour la résolution de problèmes techniques. De même, la voie systémique dans une démarche de changement fait émerger, si on tient compte des particularités du système, de son environnement et de ses contraintes immuables, une solution optimale et une seule.
Cette affirmation, qui dérange beaucoup d’intervenants (conseils, coachs, formateurs) m’a paru évidente et m’a été confirmée au fil d’interventions dans diverses entreprises soit pour le changement d’une personne soit pour des entités de plusieurs dizaines voire centaines d’individus.
Une expérimentation surprenante
J’ai mis sur pied, une technique de perfectionnement pour des consultants déjà formés à l’approche systémique (systémic consulting group). Il s’agit au cours d’une même journée de cadrer (en présence des six consultants en formation) la demande d’un dirigeant, puis de nous concerter (sans lui), sur la modélisation et la stratégie d’intervention à lui proposer.
Cette pratique rigoureuse des principes systémiques nous a conduits à un constat surprenant : l’unanimité se faisait toujours, et très rapidement, sur le choix d’une même stratégie. En effet, c’était bien le système qui nous donnait la réponse si on savait l’écouter.
De plus les dirigeants auxquels nous la proposions l’approuvaient sans réserve. Ils se montraient même étonnés de notre degré de compréhension et de la pertinence de la démarche retenue. Les 18 dirigeants qui ont mis en œuvre nos propositions, ont atteint leurs objectifs.
15 enseignements stratégiques à partager :
Voici les principaux enseignements stratégiques qui ont émergé de ces pratiques et de mes propres interventions en entreprises.
- Il ne s’agit pas de comprendre la complexité ou le fonctionnement d’un système, mais de saisir ponctuellement une demande et de regarder globalement le système à considérer dans laquelle elle s’insère afin de déterminer localement la manière de mobiliser les acteurs vers l’objectif de la demande.
- Il est souvent plus adapté, dans l’intérêt des parties concernées de changer, malgré eux, les représentations des acteurs résistants que de chercher à se justifier sur le bien-fondé du changement.
- Il est préférable de s’ajuster sur des résultats à atteindre pour tendre vers des objectifs plutôt que de s’acharner à comprendre et expliquer les raisons des résistances des acteurs.
- Pour faire changer un système, on privilégie le « comment agir » (par rapport à un objectif) au « pourquoi » il dysfonctionne.
- Plus un système est rigide ou à forte homéostasie, moins on tentera de le faire évoluer par la prise de conscience et plus on cherchera à le mettre en mouvement par des leviers indirects.
- Pour changer de manière rapide et efficace, on privilégiera une stratégie de rupture à une stratégie évolutive, toujours sujette à un retour au statu quo.
- Ce ne sont pas les personnes en tant que telles qui sont l’objet de notre observation, mais bien la façon dont les relations s’établissent entre elles et leur lien de cohérence par rapport à un objectif.
- Le levier d’action s’exercera sur un ou plusieurs éléments du système et non sur l’ensemble des éléments.
- On trouvera des leviers d’action en repérant les processus relationnels récurrents constituant des zones d’incohérence par rapport aux résultats attendus.
- Pour accompagner les résistances au changement, on privilégiera l’intégration de boucles de régulation dans le système à considérer plutôt que la superposition de modes de contrôle.
- Il est possible de maintenir la cohérence du fonctionnement d’un système en mettant à la disposition des sous-systèmes une règleles autorisant à proposer ou à mettre en œuvre de nouvelles règles.
- Chaque réponse est spécifique à un système à considérer, ce qui signifie qu’on évitera de faire du « copier-coller » à partir de sa propre expérience, à partir d’un modèle de management ou d’une méthode de coaching.
- Même s’il existe plusieurs réponses possibles à une même demande de changement, il existe cependant une seule réponse optimale : elle se trouve dans le système si on sait l’écouter.
- Dans la démarche stratégique, on ne s’interdit pas de recourir à des méthodes et à des outils analytiques comme moyen d’action pour accompagner un système.
- Il est pertinent d’impliquer un maximum d’acteurs concernés par une transformation, quand les composants fondamentaux du système en montre la cohérence
7 contrevérités intéressantes à retenir :
En matière de changement, l’École de Palo Alto et des interventions de membres du réseau systémique ont confirmé ces contre-vérités.
- Tout changement ne peut se faire que par une prise de conscience préalable des difficultés qui empêchent de progresser.
Or, nous pensons que la prise de conscience est rarement une condition nécessaire et suffisante pour changer. Dans certains contextes, elle peut avoir l’effet inverse.
Watzlawick[1] nous indique :
« l’expérience quotidienne, et pas seulement l’expérience clinique, démontre que non seulement on peut obtenir un changement sans prise de conscience, mais que très peu de changements comportementaux ou sociaux sontaccompagnés (à plus forte raison précédés) d’une prise de conscience des péripéties de leur genèse ».
1/ On a besoin d’outils et de modèles pour analyser et comprendre la complexité des comportements.
Les outils et les modèles ne sont pas utilisés pour l’analyse ou la compréhension du fonctionnement du système mais pour repérer les acteurs à prendre en compte (le système à considérer) et faire émerger les zones nodales qui serviront de repères à l’élaboration d’une stratégie de changement.
2/ Pour aborder une demande de changement, il est nécessaire de comprendre le contexte et par conséquent de faire un diagnostic.
Le diagnostic s’inscrit dans une stratégie conçue en amont et non comme un présupposé nécessaire. La pratique montre que selon la situation, il peut correspondre à un réflexe culturel, un passage obligé pour comprendre ce dont il s’agit, un moyen de se rassurer avant de s’engager dans un contexte inconnu ou délicat, une stratégie pour un manager, de gagner du temps dans le but d’éviter le changement ou encore, une manière pour un intervenant extérieur, d’obtenir des revenus substantiels.
3/ Il importe de préparer un changement en commençant à expliquer pourquoi un acteur (ou plusieurs acteurs) est (sont) en difficulté.
Ce qui nous importe en systémique n’est pas le « pourquoi » mais le « comment agir » pour atteindre un objectif. C’est un choix qui évite de plonger dans la complexité et de s’ynoyer en entraînant les autres.
4/ Pour transformer une organisation, il est nécessaire d’informer et d’attendre que la majorité des acteurs soit prête à changer.
Si l’on doit attendre que tous l’ensemble des acteurs soient prêts avant d’engager un changement, on risque souvent d’attendre longtemps.
5/ La connaissance des personnes est une condition nécessaire pour les faire changer.
J’insiste sur le fait qu’en systémique ce ne sont pas les individus en tant que tels qui sont l’objet de notre observation, mais bien la récurrence des relations qu’ils établissent entre eux et leur niveau de cohérence par rapport à un objectif. Affirmer que l’on peut connaître une personne tient de la croyance ou de la prétention. C’est encore plus vrai quand il s’agit de plusieurs personnes en relation !
6/ Les changements de type « rupture » (type 2 de l’Ecole de Palo Alto) sont difficiles à conduire dans la mesure où ils nécessitent un véritable apprentissage.
S’il est vrai que par manque d’habitude, les changements de type « rupture » sont parfois difficiles à concevoir, en revanche, ils sont très rapides à mettre en œuvre et beaucoup plus efficaces dans la mesure où ils sont irréversibles. Ce qui est loin d’être le cas d’un changement de type « évolutif ».
Élaborer une stratégie systémique est l’art d’identifier où et comment agir globalement sur un système pour le mobiliser vers le changement souhaité, dans l’intérêt des parties concernées.
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Notes :
[1] Watzlawick P., Weakland J., Fisch R., Changements, paradoxes et psychothérapie Seuil, 1975, page106
Nous remercions vivement Dominique BERIOT (spécialiste de l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises depuis plus de 40 ans), conférencier et auteur de nombreux articles & ouvrages, dont le dernier paru en Février 2018, « Guide systémique du manager d’équipe: 40 situations managériales du quotidien« aux Editions Eyrolles), de partager son expertise professionnelle avec nos fidèles lecteurs de www.managersante.com
Biographie de l’auteur :
Dominique BERIOT, possède une triple expérience professionnelle. D’abord comme manager ou dirigeant dans cinq entreprises différentes de 2000 à 15000 personnes, puis comme consultant de l’entreprise de conseil qu’il a créée et spécialisée dans la conduite du changement par l’approche systémique. Il contribue à la diffusion de la pensée systémique à travers des conférences et des travaux de recherche. Dominique BERIOT a publié 6 ouvrages dans le domaine du management et, plus spécifiquement sur l’approche systémique du changement, dont les plus récents : – « Guide systémique du manager d’équipe, 40 situations managériales du quotidien« , Eyrolles, 2018. – « Manager par l’approche systémique, s’approprier de nouveaux savoir-faire pour agir dans la complexité », Eyrolles, 2014. (préface Michel Crozier). – « Du microscope au macroscope, l’approche systémique du changement dans l’entreprise« , (préface de Joël de Rosnay) ESF, 1992. Il a publié de nombreux articles sur plusieurs sites et dans différentes revues spécialisées. Dans le champ de l’ingénierie pédagogique, il a réalisé des films et produit des CD pédagogiques sur le management. Il a également une expérience dans l’enseignement sur les relations sociales dans des Grandes Ecoles prestigieuses (HEC, CESA, ENST, ESCP…). Enfin, de 1987 à 1991, il a été Président du Comité d’Ethique de l’Institut Curie à Paris pour les essais thérapeutiques sur l’homme.
Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de managersante.com tient à remercier vivement le Dominique BERIOT pour partager régulièrement ses articles passionnants concernant l’approche systémique du changement et du management dans les entreprises
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