N°1, AOÛT 2017
Depuis la publication des nombreux décrets issus de la Loi du 26 Janvier 2016 relative à la « Modernisation du système de santé », les établissements sont en proie de revoir leurs modes de management hospitalier en termes de pilotage stratégique, organisationnel, structurel, managérial et financier : on parle alors de « New management ». Le métier de « manageur » d’hôpital public est en « pleine mutation » avec les groupements hospitaliers de territoire (GHT), comme le précise le Syndicat des Managers Publics de Santé (SMPS) à l’occasion de leur Congrès en Juin 2017.
En effet, le contexte politique de fortes rationalisations des activités médico-économiques hospitalières se renforce à nouveau avec la mise en place des 135 Groupements Hospitaliers de Territoire au 1er Juillet 2016 et leurs gouvernances à travers les conventions constitutives et les projets médico-soignants partagés devant être finalisé au 1er Juillet 207, à l’échelon national.
Ce dispositif, de 1ère génération, vise la réorganisation du pilotage supra-sectoriel par la fongibilité des structures de l’offre de soins pour les établissements sanitaires, en étroite collaboration avec les institutions médico-sociales, voire le secteur privé.
Cette réforme engage donc les établissements à poursuivre sans relâche les objectifs de réduction drastique du déficit structurel des dépenses de santé, prévus dans le plan triennal 2015-2017 de l’ONDAM (plus de 3 Milliards d’économie d’ici à fin 2017), sous l’autorité des tutelles notamment les Agences Régionales de Santé et la Direction Générale de l’Offre de Soins (ARS, DGOS).
Pourquoi l’encadrement intermédiaire est-il si fortement sollicité ?
Parmi les acteurs clés participant au pilotage stratégique des établissements de santé, l’encadrement intermédiaire, issu de la filière soignante (cadres de santé et cadres supérieurs de santé, cadres soignants de pôle), occupe de nouvelles responsabilités managériales, venant s’ajouter à ses missions principales : d’abord, la dimension gestionnaire des activités cliniques, médicot-echniques et de rééducation à travers les « pôles d’activités » d’abord, puis aujourd’hui avec les Groupements Hospitaliers de Territoires, qui prévoit un élargissement du périmètre de leur exercice professionnel à l’échelle d’un territoire de santé.
Le SMPS a révélé les résultats de ce sondage réalisé du 17 mai au 9 juin 2017, par l’Ifop par questionnaire auto-administré en ligne , auprès d’un échantillon de 1.089 managers (dont 8% des cadres de santé) et cadres d’établissements sanitaires et médico-sociaux. A la question: « les conditions de mise en oeuvre des GHT vous semblent-elles adaptées aux enjeux de recomposition sanitaire en 2017? », ils sont 55% à répondre « oui » pour les projets médicaux partagés et les projets de soins partagés.
En observant les activités des cadres hospitaliers au quotidien, il s’avère qu’ils sont de plus en plus aux prises des modèles de performances managériales et des innovations technologiques et numériques, issues du monde de l’entreprise pour les intégrer dans des logiques de processus de productions de soins, avec une dimension lucrative et concurrentielle de plus en plus visibles à travers les outils de pilotage médico-économiques mis en œuvre (à travers la mise en place de la T2A [1]).
Le même sondage Ifop 06/2017 (à l’initative du SMPS), interroge les cadres hospitaliers sur leur perception de l’évolution de leur métier, toujours par rapport aux GHT.
- 45% pensent que leur métier a changé ou va changer négativement,
- 24% estiment qu’il va changer de manière positive.
Par ailleurs, l’évolutions des technologies médicales et des pratiques professionnelles s’inscrivent dans un environnement de plus en plus spécialisé, nécessitant que les professionnels de santé actualisent régulièrement leurs compétences métiers.
Par exemple, il est prévu dans le dispositif du Développement Professionnel Continu (DPC), cité dans l’instruction N°DGOS/RH4/DGCS/4B/2017/211 du 26 Juin 2017, une forte mobilisation des acteurs pour « les sujets liés à la stratégie du numérique en santé (e-santé), et notamment la connaissance et l’utilisation des systèmes d’information d’aide à la gestion des parcours de soins« .
Il est probable que les outils numériques vont probablement modifier les processus de formation des cadres et des dirigeants, à l’image d’une expérience de « simulation » pour les Directeurs d’Hôpitaux en 2017 : « Un partenariat inédit entre le CHU et l’Université d’Angers, l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) et la Société hospitalière d’assurance mutuelle (Sham) va permettre à des élèves directeurs d’hôpital de bénéficier d’une formation au management par la simulation.«
Les Cadres Hospitaliers : un positionnement « entre le marteau et l’enclume » ?
Les cadres paramédicaux se trouvent aujourd’hui dans une posture en pleine « mutation » en raison, notamment, de leur nouveau positionnement au niveau des services cliniques, des services supports et des directions fonctionnelles de l’établissement, soulignés dans un récent rapport IGAS [2].
Cette fonction s’exerce dans un environnement hospitalier, incertain, complexe et dans une dynamique de changement permanent, dans lequel se joue des modes opératoires très diversifiées dans l’exercice de la fonction « entre le marteau et l’enclume », donnant l’opportunité pour le cadre paramédical de développer de nouveaux talents stratégiques.
Le Cadre hospitalier est aujourd’hui invité à faire évoluer son positionnement professionnel, au sens de Norbert Alter[3], ce sociologue qui définit trois logiques entre les « pionniers », les « imitateurs », et les « réfractaires ».
A l’hôpital, ce sont justement les cadres paramédicaux qui sont les pionniers parce qu’il y a création d’une nouvelle fonction dans ce contexte en pleine mutation qui enclenche ce mouvement.
La fonction interroge donc une problématique identitaire selon l’approche sociologique de Sainsaulieu[4] dont on peut en découvrir les spécificités notamment dans le descriptif d’activités des « cadres soignants responsables d’unité de soins » contenu dans le répertoire national de la FPH[5], enrichit par l’approche sociologique des professions de Dubar & Tripier[6].
La posture de management de proximité est à nouveau interrogée, compte tenu du périmètre en forte croissance des responsabilités occupées dans cette fonction. Doit-on envisager de porter une réflexion de fond sur le rôle attendu aujourd’hui et demain, auprès des équipes : on commence à parler de « leadership agile« , de « manager coach« , de « posture de leadership » clinique…
Nous sommes bien loin des cultures identitaires hospitalières en adoptant cette acculturation sémantique. Mais, la réalité implique, sans doute, de revoir les modes opératoires de l’encadrement intermédiaire au service de la qualité des soins et de l’accompagnement des équipes, aux attentes intergénérationnelles, interculturelles et sociales en pleine mutation….
Pourquoi la responsabilité de l’encadrement hospitalier ne cesse d’augmenter ?
Les responsabilités des cadres sont parsemées de contraintes, souvent paradoxales, qui se sont particulièrement accentuées à l’occasion de la réorganisation du management hospitalier. Cette pesante réalité creuse un malaise identitaire dans la professionnalisation des Cadres hospitaliers.
Une dichotomie subsiste, notamment, entre les compétences de l’homme de l’organisation (manager) et celles de l’homme de la profession (expert technique).
Ainsi, la multiplicité des cultures à l’hôpital avec ses logiques, ses alliances et ses oppositions professionnelles aux nombreuses interactions, limite l’action stratégique des Cadres. L’identité du Cadre pose, donc, un problème de définition dans la perception de son activité quotidienne.
Cette fonction présente des contours flous et questionne la légitimité de leur place dans l’organisation hospitalière pour plusieurs raisons. Le statut peut apparaître problématique par sa production immatérielle difficile à mesurer dans son activité quotidienne : ces signes spécifiques de la fonction sont identifiés par AMOSSE et DELTEIL[7] qui montrent que les Cadres en général ont un rapport au temps et aux conditions de travail très particuliers.
Le cadre réglementaire ne propose qu’une définition substantielle du rôle, notamment dans les textes relatifs aux réformes hospitalières au cours de ces 15 dernières années. Finalement, notre fonction s’est ajustée aux évolutions culturelles profondes des organisations hospitalières.
Ainsi, les Cadres, n’ont pas l’opportunité de construire une culture professionnelle propre, même s’ils ont pu appréhender les enjeux sociaux, les problèmes économiques et culturels de l’institution hospitalière.
L’adoption d’un langage spécifique, et d’une culture commune aurait pu naître, par exemple, en institut de formation des cadres de santé (IFCS), espace générateur d’une nouvelle identité professionnelle.
Mais, à l’heure de la réingénierie du diplôme des cadres de santé, sur la base des référentiels 2012, les nouveaux programmes de formation seront sans doute plus clairs après les arbitrages à la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS), toujours en discussion à ce jour.(selon l’ANCIM, Association nationale des cadres infirmiers et médico-techniques lors de la 25e journée des cadres de santé en Novembre 2016).
Les cadres hospitaliers embarqués dans un tourbillon paradoxal hospitalier
L’hôpital, dans son environnement actuel, montre une certaine discordance entre ses missions (accueil, soins, missions sociales, hyperspécialisations, ordre public) : l’émergence chronique de tensions dans sa logique de gestion avec une insuffisance de ses ressources financières ; des enjeux de pouvoirs entre le médical et l’activité syndicale ; ses délocalisations hospitalières à la périphérie ; une nouvelle logique de planification devant composer avec celle de l’aménagement du territoire. Ces réalités montrent un contexte de mutation et de complexification du système hospitalier du fait de son instabilité et de son climat incertain.
Enfin, la fonction managériale a rencontrée, également, des changements conséquents. Les principes traditionnels de l’administration hospitalière centrée sur l’unité, l’égalité et l’universalité, entrent désormais dans un nouveau paradigme de la gestion hospitalière (émergences de nouveaux modes de management de type situationnel) compte tenu de la complexification de l’organisation du travail hospitalier.
Le Cadre de Santé est, alors, pris dans ces multiples strates organisationnelles et logiques managériales. Il semble contraint de mobiliser des compétences polyvalentes dans des champs d’actions pluridisciplinaires pour favoriser la mutualisation des compétences de chaque acteur sous sa responsabilité hiérarchique et/ou fonctionnelle. Les « marchés implicites » et « les faux accords »[17] rythment le quotidien du Cadre de Santé dans les organisations hospitalières.
Compte tenu de ces éléments caractérisant l’hôpital dans ses principaux contours, nous observons des points de convergences avec les problématiques de l’entreprise : jeux d’acteurs, cultures, technologies, clientèle, mutations, logiques managériales. Le Cadre de Santé est donc aux confluents de cet environnement interne et externe de l’hôpital, avec des exigences exprimées dans la réforme récente sur la nouvelle Gouvernance Hospitalière. Cette situation nous invite maintenant à comprendre comment cette réorganisation met en tension le positionnement de l’encadrement intermédiaire.
Les restrictions budgétaires justifiées par des contraintes économiques, l’augmentation de la pression des Cadres provoquée par l’exigence de la performance et de la compétition, invitent les hôpitaux à revoir leurs modes de gestion et de management.
Comment ré-affirmer l’identité du Cadre de Santé dans un tel contexte ?
Renaud SAINSAULIEU définie l’identité au travail comme « la façon dont les différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes (…) fondée sur des représentations collectives distinctes ». Il n’existe pas, à ce jour, suffisamment de « d’espaces de réflexions collectives » des Cadres soignants dans les hôpitaux pour donner une posture représentative forte.
Le Rapport de Chantal De Singly sur « Les cadres hospitaliers » (2009) met bien en évidence ce besoin de représentativité. Cela fait partie des dynamiques sociales de reconnaissance des individus au travail (un besoin de se définir par l’identification a une communauté d’appartenance, fortement intégrative pour ses membres).
Claude DUBAR, sociologue et spécialiste des questions relative à la sociologie des professions, précise que cette identité sociale apporte une certaine reconnaissance des savoirs, légitime les compétences individuelles et narcissise l’image de soi. Cette valorisation est à corréler avec le statut professionnel, la catégorie sociale et d’autres formes de reconnaissances, pouvant d’ailleurs entrer en conflit.
De plus, la construction d’une identité professionnelle se définit, selon SAISAULIEU, par un langage, des normes, valeurs, une histoire, un processus de socialisation et une culture au travail. Elle passe également par la qualification, la compétence, la culture professionnelle dans le champ de sa rhétorique professionnelle. Les Cadres ne disposent pas d’un socle identitaire suffisamment fort pour s’appuyer sur une « déontologie, des processus sociaux, des rapports de pouvoir et d’identification, une solidité des conduites collectives de classe, un groupe socioprofessionnel».
Pourtant, cette Identité se reconstruit dans les ressources du Pouvoir, notamment dans « le modèle de négociation » décrit par SAINSAULIEU, dans lequel vont s’inscrire les Cadres moyens et supérieurs. Selon les interactionnistes, elle valorise leur métier qui est une réalité sociale riche où l’on maîtrise la communication par la rhétorique professionnelle.
Mais, cette perception aux contours floues de l’identité du Cadre intermédiaire conduit à pervertir le rapport entre l’Identité sociale virtuelle et l’identité sociale réelle définie par Claude DUBAR.
Quelle distinction aujourd’hui, entre la fonction cadre hospitalier et la fonction de manager ?
La problématique identitaire des cadres en milieu hospitalier peut être comparée à l’évolution identitaire des Cadres en entreprise. En effet, l’apparition des Cadres survient dans un contexte conjoncturel historique de crise en 1936/38 , consécutive aux luttes sociales et politiques avec la reconversion de la bourgeoisie.
Les « Les Trente Glorieuses » (1950-1970) marquent leur consécration identitaire « autour des figures stratégiques de l’expert, du cadre symbole de la promotion sociale liée à la carrière, et aussi du titulaire d’une fonction et d’un statut dans les grandes bureaucraties d’Etat, sources de nouvelles formes d’appartenances » [9] et montrent que leurs signes d’appartenance identitaires, à un niveau social valorisé, foisonnent : conditions de vie, diplômes, origine social, type d’activité, genre de vie, opinions politiques etc… [10] Mais, depuis la fin des années 80, « l’entreprise traverse une véritable période de double injonction contradictoire, dont on sait les dégâts identitaires sur la psychologie des individus, en imposant à ses membres tout à la fois l’implication dans la qualité et la mobilisation productive, mais aussi la menace sur leur emploi et la souffrance de la précarité. »[11]
Cette situation devient inquiétante dès les années 90, selon plusieurs enquêtes sociologiques, avec l’apparition d’une nouvelle typologie de Cadres d’entreprises, opposant deux figures idéal typiques : le manager et l’expert. Paul BOUFFARTIGUE, sociologue du travail, indique que ce malaise affecte leur positionnement stratégique qui s’éloigne progressivement des directions des entreprises, marquant ainsi une rupture privilégiée du « salarié de confiance », figure traditionnelle du groupe social des Cadres des années 80 (BOLTANSKI, 1982).
Leur identité se caractérise aujourd’hui par l’opposition « managers/autres cadres » substitué au clivage « cadres/non cadres » (AMOSSE et DELTEIL). Ce malaise identitaire s’installe progressivement pour des raisons structurelles : fonction floue, l’incertitude de leur employabilité dès 1993, nouvelles organisations des cadres, déstabilisation des formes de socialisation traditionnelles ainsi qu’une évolution des carrières et des partitions professionnelles classiques.
Ce détour socio-historique des Cadres en entreprise montre qu’il aboutit aujourd’hui à une banalisation de leur statut, la dégradation de leurs conditions de travail (par la sacralisation de la valeur de l’actionnaire), le risque croissant du déclassement et le durcissement des rapports sociaux avec les réformes relatifs à la réglementation du temps de travail, renforcés par le développement des nouvelles technologies de l’information.
Comment maintenir un niveau de performance managérial auprès des équipes ?
L’encadrement de proximité est sollicité pour assurer l’animation des équipes dans ces nouvelles organisations du travail. Ainsi, de nouvelles exigences managériales ont déplacés les modes de gestion des ressources humaines centrés sur la dictature du « client », « usager », « consommateur de soins ».
Les Cadres ont dû s’adapter à ces nouvelles formes de management d’équipe, avec le renforcement du contrôle de l’exécution des tâches, passant d’une hiérarchie omniprésente avec l’autoritarisme des « petits chefs » à la situation d’aujourd’hui, marquée par une pression accrue de la surveillance des activités (respect des délais, du service rendu au client…). Ce déplacement progressif de l’activité de l’industrie vers les activités de services a contribué finalement au renforcement de la pression du client.
Le Cadre se trouve donc happé par ces réalités d’entreprises avec ses restructurations, ses stratégies managériales centrées sur le résultat, l’efficience et l’adaptation aux changements permanents.
Cette situation se rencontre évidemment dans l’organisation hospitalière, orientée de plus en plus vers une culture du « résultat ».
L’évolution de la structure hospitalière, se caractérise aujourd’hui par une transversalité de ses activités mobilisant le pouvoir de tous les acteurs du système. Le modèle hospitalier se rapproche au modèle proche de l’industrie, doté d’un système complexe tant par la taille de ses établissements, que par la variabilité de ses statuts avec des critères d’activités et d’environnements multiples.
La culture hospitalière, auparavant calquée sur des valeurs traditionnelles, s’identifie par la multiplicité de « cultures » distinctes entre les discours médicaux, directoriaux, soignants, médico-techniques, logistiques, économiques, techniques et administratifs. Plus de 200 professions différentes révèlent l’ampleur de cette opacité institutionnelle dans laquelle subsiste une coexistence conflictuelle de cultures et de logiques professionnelles différentes, comme le souligne Philippe JEAN[12].
Comme dans l’entreprise, l’hôpital est marqué par l’évolution rapide de ses technologies médicales, s’éloignant ainsi de l’image de l’hospice des années 1950, synonyme de relégation et de pauvreté, pour laisser place à des Centres Universitaires, symboles des prouesses de la technique matérialisées par les plateaux techniques. Les progrès de la médecine ont également réduit la DMS[13], le temps de travail et ont augmenté l’intensification des activités des investigations para-cliniques en priorité.
Les effets de ces modernisations ont impactés sur les relations avec le malade : celui-ci devient un « cas » ou un « résultat d’analyse »[14]. Similairement à l’entreprise, l’évolution de la clientèle hospitalière, auparavant représentée par les classes modestes et les indigents assistés, s’adresse aujourd’hui, à toutes les classes de la société, auprès desquelles coexistent une médecine de prestige à haute technicité et des filières de quasi-abandon médical. [15]L’hôpital devient l’objet d’un certain consumérisme devenant concomitant avec l’augmentation des droits du patient, comme celui du client dans l’entreprise : il s’instaure, alors, un climat de défiance réciproque entre les soignants et les patients, dans une logique très individualiste.
Le Cadre soignant devient le garant de la qualité des prestations de soins auprès des « usagers consommateurs de soins médicaux ». Cependant, l’hôpital adopte de plus en plus de nouveaux droits du patient dont l’évolution de leurs attentes ainsi que de leurs familles introduit la notion d’empowerment[16].
Quelles stratégies d’action des cadres hospitaliers pour demain ? Quelles sont les nouvelles règles du jeu ?
Les Cadres sont donc immergés dans cette nouvelle réorganisation des activités hospitalières considérés comme le « pilotage pragmatique des pouvoirs (…) de l’action publique en réseaux, une pratique relationnelle de coopération non prédéfinies et toujours à réinventer, à distance des armatures hiérarchiques du passé et des procédures routinières »[18]
La place du Cadre est clairement identifiée comme faisant partie du tryptique « Médecin-Cadre Soignant-Cadre Adminsitratif » de l’organisation des structures hospitalières en Pôles d’activités, représentant un support d’une gestion déconcentrée avec la mise en place d’un dispositif de contractualisation interne.
Nous voyons mieux maintenant, les points de convergences de l’hôpital avec l’entreprise dans son organisation et ses nouvelles logiques managériales, prenant de plus en plus en compte les réalités socio-économiques de l’environnement externe. La notion d’hôpital entreprise, comme l’indique JP DOMIN[19], est de plus en plus présente dans la rhétorique de la politique hospitalière depuis les années 1980, avec des incursions de quelques hôpitaux dans une démarche de marketing (cercles de qualité, politiques sociales innovantes), avec pour ambition de poursuivre les émergences de nouveaux modes de régulations.
Ainsi, les Cadres soignants, occupant un positionnement intermédiaire à l’hôpital, sont exposés à ces bouleversements tout en y apportant leur contribution avec des marges de manœuvres limitées et des contraintes difficiles à réguler.
Ces nouvelles règles du jeu accentuent le niveau de responsabilisation des Cadres qui doivent répondre progressivement à une culture du résultat à partir d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs issus de la culture post-industrielle, dont l’expression la plus visible se traduit par l’utilisation d’outils médico-économiques et processus visant l’optimisation des bonnes pratiques de soins.
En conclusion, nous pouvons dire que les cadres hospitaliers œuvrent en collaboration avec la communauté médicale, au développement de la compétitivité en interne et en externe (entre les institutions) dans une logique de développement de la performance stratégique des activités :
- diminution de la DMS,
- fermeture de lits (virage ambulatoire),
- fusions entre services,
- restructurations (GHT),
- modification du financement des hôpitaux (ONDAM, T2A…),
- développement des alternatives à l’hospitalisations (hôtel hospitatiers, HAD…),
- rationalisation des processus de soins (chemins cliniques, parcours patient…) avec le « managed care »….
Ces évolutions managériales marquent un tournant dans le contexte des réformes actuelles et future qui pourront entrevoir des adaptations stratégiques dans l’exercice au quotidien de la fonction d’encadrement à l’hôpital….
Pour aller plus loin :
[1] T2A (Tarification à l’Activité), voir le Rapport Gouvernemental du Ministère de la Santé et des Sports présenté au Parlement : « Rapport 2010 au Parlement sur la T2A »
[2] Rapport IGAS « Bilan de l’organisation en pôles d’activité et des délégations de gestion mises en place dans les établissements de santé », Février 2010, IGAS Hayet ZEGGAR Guy VALLET, 123 pages
[3] Sociologue spécialiste des organisations, Norbert ALTER – L’innovation ordinaire, Paris, PUF, 2005
[4] SAINSAULIEU, R. – L’identité au travail, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et ANACT, 1985,
[5] Répertoire des Métiers de la Fonction Publique Hospitalière, et dans l 2009, ENSP, Etude prospective des métiers sensibles de la fonction publique hospitalière, Tome 2 : Monographie de 10 métiers et groupes métiers sensibles, Ministère de la Santé de la Jeunesse et des Sports, 2007, Editions ENSP, 329 pages,
[6] DUBAR & TRIPER « Sociologie des professions », Edition Collection, Armand Colin, Paris, 2005
[7] AMOSSE T & DELTEIL V « L’identité professionnelle des cadres en question », Travail et Emploi, N°99, Juillet 2004, pp 63-79
[8] LALLEMENT M « Le travail : une sociologie contemporaine », Folio-Essais-Inédit, N°484, page 335
[9] R. Sainsaulieu « La construction des identités au travail », 1998
[10] L. Boltanski « Les Cadres : la formation d’un groupe social », 1982
[11] R. Sainsaulieu (ibid)
[12] JEAN Philippe « Le malaise des cadres soignants »
[13] DMS : Durée Moyenne de Séjour
[14] SCHWEYER FX. « L’hôpital sous tension »
[15] DE BORT C. « Le malaise des cadres hospitaliers », 2003
[16] Empowerment : terme anglais traduit par autonomisation ou capacitation est la prise en charge de l’individu par lui-même, de sa destinée économique, professionnelle, familiale et sociale
[17] LUCAS S. « Management hospitalier et stratégies nouvelles des cadres »
[18] DOMIN JP « La nouvelle gouvernance ou le retour en force de l’hôpital-entreprise »
[19] DOMIN JP, ibid
Jean-Luc STANISLAS, Fondateur de managersante.com,
Cadre Supérieur de Santé, Auteur, Conférencier, Expert-Consultant en Leadership & Management pour l’Entreprise Médicale, à l’attention des cadres hospitaliers et managers du secteur de la santé et du médico-social.
Membre du Groupe de Travail « Leadership » à la HAS (Haute Autorité de Santé) du programme PACTE (Programme d’Amélioration Continue du Travail en Equipe)
Auteur d’un ouvrage sur le « Management stratégique des cadres hospitaliers en mutation », Editions Universitaires Européennes (Mars 2016, disponible sur Amazon.fr) et de plusieurs articles dans les revues professionnelles (Gestions Hospitalières, Objectifs Soins & Management)
Master à l’Université Paris Dauphine (Paris IX) en « Economie, Gestion et Management des Etablissements de Santé »