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Les « Toxics Handlers » : ces sauveurs organisationnels dans le monde de la santé…De quoi parle-t-on ?

Stéphanie CARPENTIER Image 3


N°5, Mai 2017


Dans le monde de la santé, la souffrance des patients fait partie de la vie courante. Dire cela ne signifie pas qu’elle soit banalisée ou minorée. Elle est seulement inhérente à l’activité médicale ou de soins.

Pourtant le personnel administratif intègre généralement lui aussi cette réalité dans sa pratique professionnelle. Il est cependant une difficulté à laquelle chacun n’est pas forcément préparé, même dans le monde hospitalier, c’est la gestion de la souffrance au travail de ses propres collègues (ou la sienne).

Or certaines personnes sont plutôt douées en la matière : ce sont les « toxics handlers » ou « catalyseurs de souffrance« . Savoir repérer ces « sauveurs organisationnels » assez peu connus pour s’appuyer sur leurs compétences peut être précieux, surtout dans un univers professionnel déjà sensibilisé à la souffrance qui connait également des restructurations à répétition. Je vous propose donc de découvrir qui sont ces « toxics handlers » : vos collègues ou vous-même êtes peut être l’une de ces perles rares sans même en avoir conscience…

Ces héros du quotidien sont généralement peu nombreux mais plus courants en entreprise qu’on ne le pense, puisqu’ils existent sous différents profils. Toutefois, comme ils ne cherchent pas les projecteurs (ils font souvent preuve d’humilité), la paternité de leurs actions pourtant salvatrices leur est souvent volée. Je ne sais statistiquement parlant si le monde de la santé est plus ou moins confronté à ces personnes (vos témoignages seront les bienvenus) mais elles y sont présentes sans aucun doute. De qui s’agit-il ?

Cette notion de « ou « toxics handlers » est apparue dès 1999 dans les travaux de Peter J. Frost et S. Robinson publiés dans la Harvard Business Review. Sous cette appellation développée par Peter J. Frost se cache la réalité de nombreux salariés: des travailleurs qui parviennent (le plus souvent de façon inconsciente) à canaliser la souffrance de leurs collègues générée par les comportements toxiques de certains managers ou même de certains dirigeants. Ce concept a été trouvé par Peter J. Frost alors qu’il s’intéressait à la manière de réagir de certains salariés pour gérer la colère, la peur ou encore l’anxiété de leurs collègues face à des comportements toxiques au travail.

Peter J. Frost précise cependant en 2006 que ces « absorbeurs de souffrance » peuvent occuper des fonctions très différentes dans l’entreprise. Certains sont managers, d’autres des spécialistes des relations humaines  (comme les DRH ou les représentants du personnel par exemple), d’autres enfin peuvent être responsables de projets ou des responsables opérationnels. Ces personnes ont cependant en commun d’avoir une capacité d’empathie et une volonté d’agir pour tenter de résoudre la douleur et la souffrance de leurs collègues. Cette préoccupation est motivée par des considérations humaines, individuelles, mais également organisationnelles. C’est le bien commun qui leur importe.

Ces toxic handlers ont selon Peter J. Frost cependant bien conscience que pour la plupart, leurs efforts pour aider les autres dans la douleur ne seront pas reconnus, non pris en charge et encore moins appréciés par leurs organisations. Au moins ont-ils la satisfaction d’avoir contribué de cette façon au bien commun qui leur importe tant. Néanmoins cela ne les dispense pas d’éprouver également la culpabilité et le sentiment que s’occuper de cela ne constitue pas leur vrai travail, celui pour lequel ils sont rémunérés. En conséquence, ils se sentent obligés de travailler plus dur pour rattraper leur retard sur leurs tâches soi-disant légitimes. Les heures supplémentaires sont alors fréquentes et nombreuses pour tout concilier et surtout tout faire: leur assistance aux collègues et à l’organisation et leur « vrai » travail.

Pour Gilles Teneau (qui a popularisé ce concept en France suite à son doctorat réalisé sur ce sujet), les toxic handlers ne se manifestent que lors de circonstances exceptionnelles:  leur société traverse une crise et ils ont déjà éprouvé une peine profonde (par exemple, un enfant ayant eu une maladie grave). En clair, ils comprennent d’autant mieux la souffrance des autres qu’ils y ont été eux-mêmes confrontés. Pour le reste, ils sont experts dans leurs domaines et travaillent depuis longtemps dans leur société où ils sont particulièrement appréciés. Ils n’ont pas peur de prendre des risques (plus encore, ils les aiment) et ils sont prêts à intervenir en réunion de direction pour dire : « Là, ça ne va pas, nous devons changer notre façon de faire ».

Leurs grandes compétences leur permettent d’avoir une grande confiance en eux-mêmes, de ne pas avoir peur du changement et d’être assez visionnaires. Bref, ils ont un tempérament « d’intrapreneur ». De la même façon ils sont dotés d’une empathie et d’une capacité d’écoute hors du commun, ce qui leur permet très certainement de réussir à donner du sens aux événements en reformulant par exemple les échanges avec la direction.

Ce portrait robot est cependant plus subtil à y regarder de plus près. Selon Gilles Teneau, il existe en effet trois grands types de toxic handlers (ou catalyseurs de souffrance) et tous n’ont pas la même valeur:

Quoi qu’il en soit, selon Peter J. Frost et S. Robinson ces toxic handlers peuvent apaiser les souffrances au travail de cinq manières différentes:

Avoir des toxic handlers dans ses propres rangs est donc très précieux pour toute organisation, qu’elle soit privée ou publique, grande ou petite, et le monde hospitalier n’est pas exclu de ce champ.

Pour autant, seul le troisième type, celui des porteurs de compassion, est vraiment valable à long terme mais il est aussi bien évidemment très rare car il s’agit d’individus humainement assez exceptionnels. «D’où l’intérêt de repérer les toxic-handlers, et les aider à passer du type 1 ou 2 au type 3, qui leur permettra d’être efficaces pour l’organisation, sans se nuire à eux-mêmes», explique Gilles Teneau, cité par Slate.fr le 10/06/2016 .

Pour atteindre un tel niveau, certaines pratiques peuvent être favorisées à titre individuel et même organisationnel. La pleine conscience ou mindfulness, de même que la pratique de la bienveillance managériale semblent favoriser la capacité à faire preuve de compassion sans soi-même souffrir. Mais les entreprises ont aussi leur part de chemin à faire: pour que la compassion facilite la résilience de l’organisation, encore faut-il que les managers et encore plus leurs directions acceptent de la voir s’exprimer…

A ce niveau-là, le monde de la santé a peut-être plus de prédispositions que des organisations présentes dans d’autres secteurs d’activité car il a intégré depuis longtemps la notion de bientraitance. Il me semble donc judicieux qu’il s’interroge sur ce concept ainsi que sur celui de résilience organisationnelle que véhicule la notion de toxic handlers et peut-être pourra-t-il servir ainsi d’exemple à d’autres milieux…

En guise de conclusion, je souhaiterai rappeler certains éléments: les sauveurs organisationnels ou toxic handlers sont très précieux, surtout dans des contextes de conduite du changement exacerbés et/ou des situations de souffrances au travail généralisées. Favoriser le développement de leurs présences en entreprises apparaît donc primordial, surtout si des comportements créosotes se font jour. 

Pour autant, il faut garder en tête que tous les « absorbeurs de souffrance » ne se valent pas et tout le monde n’a pas forcément des aptitudes en la matière. En clair, je pense nécessaire de faire très attention à ne pas instrumentaliser ces qualités humaines exceptionnelles en les transformant en une sorte de compétence technique comme une autre. Si tel était cependant le cas, je crains en effet que ces ressources rares ne finissent broyées ou prennent la fuite, ce qui aboutirait à des effets organisationnels contraires à ceux initialement recherchés. Les comportements toxiques gagneraient ainsi définitivement la partie en n’ayant plus de contrepoids. Ce serait dommage me semble-t’il, n’est-ce pas!

Article rédigé à partir d’une publication du blog managérial de Stéphanie CARPENTIER.

 

      


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Nous remercions vivement  Stéphanie CARPENTIER (Docteur (Ph.D) Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail) , pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle « Management & Recherche », pour nos fidèles lecteurs de http://localhost/managersante

 

Stéphanie CARPENTIER

Docteur Sciences de Gestion - Expert en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail. [Blog Managérial : carpentierblogrh.wordpress.com ].  Stéphanie CARPENTIER est classée dans la liste des Top Voices des 25 contributeurs les plus influents en 2018 sur LinkedIn France, le plus grand réseau professionnel au monde.  Créatrice de la société de conseil DR.RH&CO pour les dirigeants et leurs managers. Membre du conseil consultatif de l'excellente revue internationale HBR Harvard Business Review. Membre des associations de recherche: - Institut International d’Audit Social (IAS) depuis 2004; Membre du Conseil Scientifique et du Bureau Elargi dès février 2009. - Association Francophone de Gestion des Ressources Humaines (AGRH)  depuis 2004. Experte en management des ressources humaines conciliée depuis 1998 avec la sociologie, la psychologie et les avancées du marketing B2B et des technologies. Titulaire d’un DEA (Master Recherche) de gestion socio-économique des entreprises et organisations et diplômée d’une Ecole Supérieure de Commerce (Master 2). Activité d’enseignante-chercheure dans différents établissements d’enseignement supérieur français: ESC Saint Etienne, IAE de Lyon, CNAM Saint Etienne et IRUP Saint-Etienne, Faculté de Droit (Université Lyon 3), ESDES (Université Catholique de Lyon) et EM Lyon. Consultante RH (statut libéral / statut SAS) dans les entreprises privées (PME-PMI / grands groupes), les associations et les organisations publiques. Contribution à des projets scientifiques portant sur les questions de management de la santé et de la qualité de vie au travail.

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