N°8 MARS 2017
En 2005, le Centre d’Etude de l’Emploi présente la troisième enquête européenne sur les conditions de travail. Les auteurs, Edward Lorenz et Antoine Valeyre analysent la grande diversité des formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne.
En préambule, ils notent que « La mise en évidence de quatre formes d’organisation du travail contrastées – apprenantes, au plus juste, Tayloriennes et de structure simple – ne confirme pas la thèse de la diffusion d’un nouveau modèle organisationnel dominant qui viendrait supplanter le modèle Taylorien. Le déploiement de ces formes d’organisation dans les pays de l’Union présente de fortes disparités qui tiennent en partie à la diversité des structures sectorielles et socioprofessionnelles des emplois, mais qui semblent aussi relever, entre autres facteurs, de la spécificité des contextes institutionnels nationaux. »
Sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, l’organisation apprenante, qu’en est-il ?
L’organisation apprenante ? oui ? dans quel pays ?
Nous constatons que les organisations « apprenantes » sont prédominantes dans deux pays scandinaves, le Danemark et la Suède, et aux Pays-Bas. Elles sont en revanche peu développées dans les pays méditerranéens, notamment en Grèce, en Espagne et au Portugal, ainsi qu’en Irlande.
Les organisations en Lean production sont les plus importantes au Royaume-Uni, en Irlande, en Espagne et, dans une moindre mesure, en France. Elles sont peu présentes dans les trois pays nord-européens à dominante d’organisations « apprenantes », ainsi qu’en Allemagne et en Autriche. La diffusion des organisations tayloriennes varie à l’inverse de celle des organisations « apprenantes ». Elle est forte dans les pays méditerranéens…
L’organisation apprenante, quelle définition ?
Le concept d’organisation apprenante a été développé aux Etats Unis à la fin des années 1980 par Peter Senge, professeur au Massachusetts Institute of Technology. Théoricien pionnier en Innovation managériale.
L’idée centrale est que tout individu peut développer des connaissances, construire des compétences afin de produire des prestations de qualité au sein de l’organisation à laquelle il appartient.
Du fait d’une littérature abondante, se borner à une définition sur l’organisation apprenante est particulièrement difficile. Nous choisirons celle de Garvin, Professeur en administration des affaires à la Harvard Business School, qui est « une organisation capable de créer, acquérir et transférer de la connaissance et de modifier son comportement pour refléter de nouvelles connaissances ».
Pour mettre en œuvre ses apprentissages, l’auteur estime que l’organisation qui veut devenir apprenante doit développer cinq activités : la résolution de problème en groupe, l’expérimentation, tirer les leçons des expériences, apprendre avec les autres et transférer les connaissances.
Les cinq disciplines, présentation
La pensée systémique :
« Si vous commencez à penser différemment, vous voyez les choses différemment. Et toutes vos actions commencent à changer »
La pensée systémique comprend des méthodes, des outils qui visent à observer les forces en relation autour d’un processus commun. Peter Senge en fait l’illustration par des exercices pratiques et des témoignages concrets issus de grandes entreprises. Les membres d’une équipe sont capables de faire le bilan des problèmes inhérents aux actes accomplis et de comprendre les facteurs influençant les changements organisationnels. De ce simple constat, lorsque nous pouvons pointer une situation, lui donner un nom, nous pouvons trouver des solutions viables à long terme. Transposer sur l’hôpital, le prendre soin viserait d’une part les équipes paramédicales, médicales, les étudiants, d’autre part les patients et la famille. En situation mouvante, cette organisation fait preuve d’adaptabilité et de créativité, à la recherche de solutions pour stabiliser le service.
La maîtrise personnelle :
« …personne ne peut accroître la maîtrise personnelle de quelqu’un d’autre. Nous pouvons simplement mettre en place des conditions qui encouragent et soutiennent ceux qui veulent accroître leur propre maîtrise personnelle »
L’auteur sous-entend que l’engagement des professionnels est fondamental, qu’il s’exprime par la motivation au travail et la capacité de chacun des membres à développer un positionnement de challenger, par des aptitudes de travail nouvelles. Nous pouvons voir les missions du Cadre nécessaires à la mise en place de ce dispositif.
Les schémas mentaux:
Ce concept remonte à l’antiquité. En science cognitive, il fait référence aux cartes implicites et semi-permanentes du monde que nous gardons en mémoire à long terme et aux perceptions à court terme qui nous aident à construire nos raisonnements quotidiens. L’objectif de l’organisation apprenante est d’harmoniser la façon de voir les choses par la mise en place de mécanisme de régulation. Cela demande au préalable de saisir que chacun des membres peut avoir des valeurs différentes des autres, d’accepter cette multiplicité de point de vue, autoriser la contestation.
La vision partagée :
« ... la discipline de la vision partagée est essentiellement centrée autour de la construction de la compréhension partagée, là où elle n’existait pas auparavant »
Nous comprenons que les individus ont un but commun, des objectifs à atteindre ensemble. Lorsqu’ une organisation franchi une étape importante, celle d’une fusion (comme notre approche contextuelle), un projet de vision partagée peut être initié, la cohésion de l’ensemble du personnel recherchée, activée pour « une orientation commune, tirant tout le monde vers le même avenir ».
L’apprentissage en équipe :
Peter Senge dit de cette discipline : « L’apprentissage en équipe est la discipline la plus exigeante intellectuellement, émotionnellement, socialement et spirituellement. »
Cette notion d’apprentissage collectif apparaît complexe. De ce point de vue, nous pouvons expliquer que la finalité n’est pas seulement de travailler en équipe, de communiquer, d’être compétent lors de nos activités… cela s’accompagne d’apprendre à apprendre à travailler ensemble. Nous retenons à cet instant l’importance de l’interactivité que créent les liens individu-organisation. Si une organisation se veut apprenante, elle doit accepter les faiblesses des membres de son équipe. Elle doit être capable d’avancer pas à pas, de ne pas tout comprendre ni tout savoir immédiatement. De même, il faut parfois confronter les autres dans leurs décisions non pas dans le but de les piéger mais dans le but de les aider à réfléchir (d’ailleurs, la démarche pédagogique inscrite au programme de formation des étudiants infirmiers introduit la posture réflexive), à préciser leurs pensées, à mettre des mots sur les problèmes, à trouver par eux-mêmes leurs solutions.
Pour cette dernière discipline, nous pouvons extraire la notion de compétence et d’intelligence collective qui se trouve être supérieur à la somme des « talents individuels ».
Sur une deuxième partie, nous poursuivrons notre développement réflexif sur les organisations dans le milieu soignant.
Pour aller plus loin :
« Les formes d’organisation du travail dans les pays de l’Union européenne », Edward Lorenz, Antoine Valeyre – Juin 2004
La cinquième discipline – Le guide de terrain : Stratégies et outils pour construire une organisation apprenante , Broché – 13 septembre 2000
Structure et dynamique des organisations, Traduction de The structuring of organizations – Les références, Henry Mintzberg, Editions d’Organisation, Collection : Références, Septembre 1982
Nous remercions vivement Béatrice CRESTA PAVIOT, Cadre de Santé IADE paramédicale, Réanimation polyvalente Cardiovasculaire chez APHM (Assistance Publique – Hopitaux de Marseille), pour partager son expérience professionnelle en proposant sa Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com