N°6, Juillet 2016
Précédemment, nous avons compris que le Harcèlement Moral (HM) était plus fréquemment le fait du comportement d’un groupe de personnes et moins celui d’une attitude perverse de la part d’un seul individu. C’est d’ailleurs « le cynisme et la perversité du système » (Dr Hirigoyen) qui facilitent ces comportements.
Le rapport au pouvoir, par l’appréhension du lien de subordination, est également en cause, et le HM peut aussi bien se manifester de manière ascendante que par une voie descendante ou horizontale.
Le goût d’une structure pour la discrimination est généralement le fait d’une majorité de ses membres, ce qui permet de comprendre le cumul d’indemnisations distinctes (1), puisqu’il s’agit de préjudices différents (Cour de cassation, chambre sociale, arrêt 13-23.521 du 03 mars 2015) :
– privation de fonctions au retour des congés maternité, discrimination (article L 1132-1 code du travail);
– atteinte à la dignité de la salariée, avec inaptitude, HM (article L 1152-1 code du travail).
Il faut aussi en retenir qu’un comportement discriminatoire répété peut alors caractériser un HM.
Rappel :
la notion de HM tend, comme l’a souligné Vincent de Gaulejac (2009), à focaliser le problème sur le comportement individuel plutôt que sur les processus qui génèrent des agissements dont la répétition est condamnable.
Un arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2009 (2) admet que les méthodes de gestion peuvent en effet créer une situation de HM.
Quant à la définition légale du HM, celle du code du travail (article L 1152-1), elle est d’autant plus large et intéressante pour le développement de la prévention qu’elle comporte aussi bien l’effet que l’objet des agissements.
I. Le champ de cette définition laisse au juge la liberté de l’appliquer pour qualifier une ample variété de situations.
A. Aussi bien la conséquence (a) que le but (b) des agissements peut ouvrir la qualification judiciaire de HM.
a. Ainsi, lorsque le HM est reconnu judiciairement en raison de l’effet des agissements, l’accent sera mis sur les conséquences éventuellement réalisées. C’est le cas par exemple lorsqu’il est établi ou présumé que l’avenir professionnel du plaignant est déjà compromis : discrédit dans le métier, évaluations négatives, inaptitude constatée par le médecin du travail, etc.
Nota bene : les arrêts de travail ne suffisent pas à laisser présumer un HM.
b. Alternativement, le HM peut apparaître à partir de l’objet des agissements, dont l’intention d’entraîner un dommage est plus saillante, sans qu’il soit indispensable d’attendre que la santé de la victime soit altérée. Or en principe l’état mental de la cible du HM est rapidement dégradé, mais au départ ce n’est pas encore une vérité médicale et juridique car la victime elle-même aura tendance à s’attribuer le mérite de son mauvais traitement, ce que suggère aussi la pression sociale (« la victime c’est la coupable ! », Orwell, 1984 ; cité par le Dr Muriel Salmona, victimologue, à propos du harcèlement sexuel). La définition du HM permet donc au juge de qualifier les faits lorsque les agissements visent cette dégradation.
Il est central de relever ici que l’intention de nuire n’est heureusement pas requise pour la reconnaissance du HM.
Il est important aussi de noter que la bonne foi du plaignant le met à l’abri du licenciement, c’est ce qu’ont retenu les arrêts 13-25.554 et 14-13.318 rendus le 10 juin 2015 (3) par la chambre sociale de la Cour de cassation. L’employeur doit alors démontrer le caractère mensonger de la dénonciation du salarié : preuve difficile. Il faut se souvenir que la lutte contre le HM passe par la protection des témoins, mais aussi par l’immunité du plaignant face au licenciement.
B. Le champ de la définition légale du HM offre une grande diversité de situations dont voici un panel d’illustrations :
– la mise en échec (objectifs inatteignables), exigences qui pèsent sur les uns mais qui ne sont pas un critère d’avancement de carrière pour les autres (« faites ce que je dis mais pas ce que je fais ») ;
– la mise au placard (retrait des fonctions, tâches inutiles, qualifications inexploitées, dépossession du savoir vers une « prescriptophrénie » qui dépersonnalise le travail des salariés : faveur exagérée pour les comportements médiocres et agentiques) ;
– communication contradictoire et confuse (« votre savoir-être fait défaut », « nous attendons autre chose de vous », « vous saviez précisément ce que je voulais dire l’autre jour », etc.) ;
– rumeurs malveillantes fondées sur des stéréotypes, conduites déloyales, dévalorisation du travail d’autrui (concurrence généralisée et évaluation individualisée) ;
– chasse managériale aux points négatifs, infantilisation et injonctions paradoxales (défauts véniels et subjectifs, déni des points forts du salarié, confusion opportune entre autonomie et indépendance) ;
– isolement et silent treatment (la cible est ignorée, on ne la salue pas, elle n’existe plus) ;
– surnoms, grimaces et caricatures, lynchages et vindictes en l’absence de la cible (« les absents ont toujours tort ») ;
La liste peut être déroulée en d’infinies combinaisons.
En définitive, si l’origine du HM est plurifactorielle, le ressort constant de son processus est le non-dit.
II. Le Droit de la responsabilité de l’employeur
Loin de sa position datée du 28 février 2002 sur l’amiante, la Cour de cassation a depuis peu choisi d’assouplir le droit de la responsabilité de l’employeur (A) lorsque celui-ci est capable de démontrer une prise en charge de toutes les mesures préventives utiles (4) après avoir eu connaissance des risques, notamment par un plan d’action issu de l’évaluation annuelle qui doit alimenter le Document Unique (B).
A. Le revirement se confirme depuis le 25 novembre 2015, et plus récemment, en faveur d’un réel intérêt pour l’employeur à organiser un dispositif susceptible d’empêcher ou de réduire le danger puisqu’il n’est plus systématiquement reconnu fautif au moindre dommage, son obligation de sécurité de résultat étant à nouveau relative, bien qu’exigeante en soi sinon nous serions en présence d’une obligation de moyens !
La jurisprudence se rapproche de l’esprit de la loi de 2002 en ce qu’elle vise d’abord l’amélioration des conditions de travail et la prévention.
B. L’actualisation du Document Unique (article L 4121-3 code du travail) est un élément essentiel car il permet d’identifier les risques pour la santé mentale des travailleurs (5).
La diversité des cas susceptibles de relever du HM est telle qu’organiser une prévention efficace n’est pas chose aisée pour l’employeur, surtout lorsque règnent l’omerta et l’exclusion des minorités, voire encore une politique de gestion du personnel ayant pour objectif de pousser à la démission (comportement schizophrène au niveau institutionnel), d’écarter une partie de l’effectif comme cela s’est déjà vu dans d’illustres et non moins tristes affaires de suicides dans de grandes entreprises.
Ainsi, nous avons d’un côté contre l’employeur nihiliste ou négligent une absence de prévention qui représente un préjudice supplémentaire et, d’un autre côté, le vœu pieux de voir émerger des managers doués « d’aménité » (L. Roche, slow management : éloge du bien-être au travail).
Hervé HENRY
est Juriste et spécialisé dans le « Droit de la Santé & de la Protection Sociale ».
Il nous propose chaque mois, un nouvel article pour nos lecteurs du Blog MMH
(4) Note de l’arrêt n° 1068 rendu le 01/06/2016 par la chambre sociale de la Cour de cassation.
(5) Espace, droit, prévention , Extrait de texte Légifrance
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Nous remercions vivement Hervé HENRY, Juriste et spécialisé dans le « Droit de la Santé & de la Protection Sociale », pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs du Blog MMS