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Quels sont les 4 piliers sur lesquels se construit notre nouveau système de santé du XXIème siècle ? Le Docteur Pierre SIMON explore les pistes vertueuses.

Article publié  par notre expert, le Docteur Pierre SIMON    (Medical Doctorat, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine).

Auteur de plusieurs ouvrages sur la Télémédecine, il vient de co-rédiger le 07 Avril 2021, aux éditions Elsevier Masson un nouvel ouvrage intitulé « Télémédecine et télésoin : 100 cas d’usage pour une mise en oeuvre réussie ».

Il est également co-auteure d’un chapitre de l’ouvrage collectif de référence publié depuis le 04 Octobre 2021, sous la direction de Jean-Luc STANISLAS  chez LEH Edition, intitulé « Innovations & management des structures de santé en France : accompagner la transformation de l’offre de soins » .

le Docteur Pierre SIMON   est intervenu au Ministère des Solidarités et de la Santé sur la table ronde,  à l’occasion du 1er Colloque  national annuel de ManagerSante.com, sur la thématique « Comment embarquer les acteurs du numérique en santé ?« , le Mardi 29 Mars 2022.

N°62, Mars 2023

La refondation de notre système de santé est en marche. La collecte des données de santé à caractère personnel, leur traitement par l’IA, le développement des soins à distance grâce à la télésanté, en particulier pour les patients atteints de maladies chroniques, et l’éthique professionnelle à l’épreuve du numérique en santé, ces quatre domaines représentent à nos yeux les piliers essentiels sur lesquels la médecine du XXIème siècle se construit pour être pleinement opérationnelle à partir des années 2030-2040. Nous n’abordons pas dans ce billet l’enjeu des nouvelles organisations professionnelles qui en découlent, sans lesquelles la transformation numérique du système de santé pourrait s’avérer inefficace.

1/ La collecte des données de santé à caractère personnel

L’évolution a été rapide. Nous sommes passés en moins de 30 ans d’une collecte sur papier de données de santé à caractère seulement médical à une collecte numérisée des données de santé à caractère personnel d’un usager de la santé, incluant non seulement les données médicales et de soins, mais aussi des données de vie réelle saisies par les patients eux-mêmes grâce à l’usage de nombreuses applis de santé installées sur leur smartphone.

Même si le dossier professionnel informatisé (DPI), géré par chaque professionnel de santé, est toujours d’actualité, il deviendra à partir de 2024 moins exhaustif que le dossier de santé centré sur le patienttel que Mon Espace Santé (MES) en France, lequel collectera automatiquement dans le nouveau DMP toutes les données de santé personnelles collectées par les professionnels de santé médicaux et paramédicaux intervenant dans les parcours de soins, ainsi que les données générées par les cabinets de biologie, les cabinets de radiologie, les officines, les établissements de soins, etc. Les patients eux-mêmes peuvent inscrire dans le DMP de MES leurs propres données de vie, s’ils le souhaitent.

L’obligation faite aux professionnels de santé et aux institutions de soins de verser dans le DMP, à compter du 1er janvier 2024, toutes les données de santé qu’ils auront générées pour chaque usager passe nécessairement par la transformation des logiciels métiers de la santé afin qu’ils soient interopérables avec le DMP de MES au 1er janvier 2024.

Cette transformation des logiciels métiers est financée par l’Etat à hauteur de 2 milliards d’euros (Ségur de la santé). Les éditeurs de logiciels métiers peuvent en bénéficier jusqu’à la fin 2023. On mesure ainsi l’importance que prendra dans les prochaines années le dossier de santé centré sur le patient (MES) sur lequel devront s’appuyer les professionnels de santé dans l’exercice de leur métier.

2/ Le traitement des données de santé personnelles par l'IA

Sans une collecte exhaustive des données de santé personnelles, l’IA restera peu performante dans sa démarche diagnostique et thérapeutique. Pour que les algorithmes soient bien entraînés et donc fiables, la collecte des données doit être à la fois massive et représentative de la population concernée, afin d’atteindre les niveaux de performance souhaités et éviter les biais. En 2018, l’Académie nationale de Médecine américaine soulignait dans son excellent rapport que le principal frein au développement de l’IA médicale était l’absence d’interopérabilité des systèmes de collecte de données entre eux. La France a réalisé une importante transformation numérique du système de santé entre 2019 et 2022, centrée, entre autres, sur l’interopérabilité de tous les logiciels métiers de santé avec le DMP de MES.

Lorsque la collecte des données de santé sera suffisamment massive, l’IA médicale pourra alors intervenir pour aider les professionnels dans la démarche diagnostique et thérapeutique et pour améliorer la performance des soins. Les données contenues dans les DPI des professionnels de santé ne font qu’effleurer la somme des données qui pourraient être exploitées pour améliorer la qualité et la sécurité des soins délivrés aux patients. Pour accéder à des données plus diversifiées, en particulier les données sur le mode de vie des usagers de la santé et leur vie réelle, des règles éthiques doivent être respectées. La démarche éthique est indissociable d’un développement de l’IA médicale.

En France, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) et le Comité National Pilote de l’Ethique du Numérique (CNPEN), après avoir recommandé en 2020 l’obligation d’une garantie humaine des données algorithmiques à visée diagnostique ou thérapeutique fournies à un professionnel de santé (article 17 de la loi bioéthique de 2021), vient d’émettre 16 recommandations et 7 points de vigilance pour les systèmes d’intelligence artificielle d’aide au diagnostic médical (SIADM), tant pour les systèmes apprenant d’analyses d’images que pour ceux qui visent à l’amélioration des parcours de soins. Les équipes soignantes et les patients, s’ils ne doivent pas se priver des avantages apportés par l’usage de ces outils, doivent constamment se donner les moyens de prendre de la distance avec le résultat fourni.

Les domaines de la prédiction, de la détection précoce et de l’évaluation des risques chez les personnes sont les applications d’IA médicale les plus prometteuses.

Dans le domaine du diagnostic, il y a un certain nombre de démonstrations où l’IA médicale contribue à aider la démarche diagnostique du médecin vis à vis d’une image médicale anormale: la reconnaissance d’un mélanome malin, d’une rétinopathie, de lésions du cartilage au niveau du genou, d’une lésion tissulaire précoce d’origine ischémique, d’un nodule malin au niveau du sein, confirmé ensuite par biopsie, d’un trouble du rythme cardiaque sur un ECG, etc. Avec le diagnostic d’une image médicale par IA, le rôle des radiologues, des dermatologues, des pathologistes, des cardiologues et autres spécialistes concernés par l’IA change, mais c’est la combinaison du diagnostic par IA et de l’analyse du médecin qui permet de réduire les erreurs médicales.

La lecture automatique des images médicales par l’IA qui remplacerait à terme le médecin est improbable dans les prochaines années. L’IA médicale aidera le médecin à faire le tri entre ce qui est simple et ce qui est complexe, permettant alors au médecin de se consacrer uniquement aux cas complexes. De même pour les histopathologistes, l’IA permet à cette profession d’être plus performante dans le classement des lésions cancéreuses, dans la reconnaissance rapide de micro-organismes (virus, bactéries) dans les liquides biologiques grâce aux techniques de séquençage amplifiées par l’IA.

Dans le domaine de la chirurgie, l’IA devient de plus en plus importante pour la prise de décision. Elle apporte diverses sources d’infor­mation utiles à la décision du chirurgien, comme les facteurs de risque du patient, l’information précise sur son anatomie, l’histoire naturelle de sa maladie, les bénéfices et les risques de l’acte chirurgical, ainsi que le coût engagé. Le traitement de toutes ces données par l’IA aide les médecins et les patients à faire les meilleures prédictions possibles sur les conséquences positives ou négatives d’un acte chirurgical. Par exemple, un modèle d’apprentissage profond (Deep Learning) a été employé pour prévoir quelles personnes atteintes d’épilepsie résistante au traitement médical pouvaient bénéficier de la neurochirurgie.

Dans le domaine des traitements personnalisés, l’IA permet une médecine de plus en plus précise. Les cliniciens peuvent ainsi adapter le traitement médical aux caractéristiques physiologiques de chaque patient. Par exemple, ils peuvent personnaliser le dosage d’une chimiothérapie, mesurer la réponse des patients au traitement afin de planifier le futur dosage. L’IA est aussi utilisée dans l’identification et l’analyse d’un polype digestif. C’est une aide à la décision clinique et à l’élaboration des meilleurs intervalles de surveillance par coloscopie.

Au fur et à mesure que l’analyse du génome d’un individu par l’IA sera intégrée au diagnostic et à la planification du traitement, des progrès indiscutables seront réalisés. Toutefois, pour avoir un réel impact sur les soins usuels, l’ensemble des données génétiques doivent mieux représenter la diversité des populations concernées.

3/ La télésanté au service des patients atteints de maladies chroniques suivis à leur domicile

La prise en charge des soins au domicile chez les patients atteints de maladies chroniques, dont le nombre ne cesse de progresser avec l’allongement de l’espérance de vie, est certainement l’un des plus grands défis des systèmes de santé au 21ème siècle dans les pays développés. Aux Etats-Unis, un citoyen américain sur deux est touché par une maladie chronique.

En France, on estime que 30 à 35% des Français sont atteints d’une maladie chronique. Ignorer ce défi, c’est mettre en péril à court terme les systèmes de santé en place par une submersion des hôpitaux par des patients chroniques hospitalisés. La crise des services d’urgences est déjà l’illustration de ce défi, la plupart des personnes venant aux urgences étant âgées et touchées par des maladies chroniques non-stabilisées, dont les complications n’ont pas été reconnues plus tôt en amont et prévenues par des traitements précoces.

L’organisation des soins et leur suivi au domicile des patients est la principale raison du développement de la télésanté. Si ces nouvelles pratiques, en particulier la téléconsultation, ont explosé pendant la pandémie Covid-19, elles ont concerné en grande majorité les jeunes adultes, souvent en télétravail, vivant dans les zones urbaines, et peu ou pas les personnes âgées résidant dans les Ehpads ou vivant dans les zones rurales souvent considérées comme des déserts médicaux, voire numériques.

La téléconsultation ne se développera chez les personnes âgées, en particulier celles atteintes de maladies chroniques, que si elle est accompagnée de professionnels de santé (infirmiers, pharmaciens. Le financement de la mobilité des professionnels de santé au domicile pour la réalisation des téléconsultations assistées, à l’instar des unités mobiles de télémédecine (UMT) pilotées par les SAMU, est une des solutions au développement de la téléconsultation assistée.

Le télésoin est aux pharmaciens et aux auxiliaires médicaux ce que la téléconsultation est aux professionnels médicaux. Il permet de compléter le soin réalisé en présentiel et de renforcer le suivi des malades chroniques. Comme pour la téléconsultation, le télésoin par vidéotransmission chez les personnes âgées, souvent en situation d’illectronisme, ne peut être que facilité par la présence d’un membre de la famille, d’un aidant ou d’une auxiliaire de vie qui apporte une aide à l’usage des solutions numériques.

La téléexpertise requise auprès d’un professionnel médical est aujourd’hui à la portée de tous les professionnels de santé, qu’ils soient médicaux, pharmaciens ou auxiliaires médicaux. Une telle pratique, qui rencontre de la résistance tant chez les professionnels de santé, habitués à utiliser leur téléphone mobile sans tracer leurs échanges dans leur DPI, que chez les gestionnaires des établissements de santé qui n’ont pas encore perçu l’intérêt de cette pratique dans les organisations professionnelles, doit être fortement encouragée car elle rend plus efficace les interventions pluriprofessionnelles dans les parcours de soins des patients atteints de maladies chroniques et renforce la nécessaire coopération de la ville avec l’hôpital.

La télésurveillance médicale, qui entre dans le droit commun de la sécurité sociale à compter du 1er juillet 2023, a un modèle économique qui fait débat chez certains fournisseurs majeurs des solutions numériques de télésurveillance, lesquels regrettent la dégressivité du remboursement en fonction du volume des cohortes télésuivis et l’absence de vision stratégique à moyen et long terme sur les DMN « mieux disant » qui seront autorisés dès leur apparition sur le marché.

Il est vrai que les pouvoirs publics français ont du mal à se défaire de la classique démarche du « top down » qui peut bâillonner les innovations. Le « top down » devrait être remplacé par la démarche « bottom up« , plus enthousiasmante pour les professionnels de santé de terrain qui veulent innover dans des organisations professionnelles nouvelles des soins. On l’a souvent répété et le président de la République dans ses vœux pour 2023 au monde de la santé a pris position en faveur du bottom up pour sortir de la crise sanitaire actuelle.

4/ Les pratiques professionnelles à l'épreuve de l'éthique du numérique

Pour tenir le cap du « bien agir » en santé numérique, les professionnels de santé doivent suivre les recommandations faites par la HAS et l’Assurance maladie sur les bonnes pratiques de la télésanté, ainsi que les recommandations de la CNIL sur le respect du RGPD en santé.

Pour l’usage de l’IA médicale, le CCNE et le CNPEN ont établi des avis conjoints (141 pour le CCNE et 4 pour le CNPEN), publiés le 24 novembre 2022.

Nous rappelons ici certaines recommandations et certains points de vigilance qui nous paraissent essentiels à connaître, tant pour les patients et les industriels du numérique que pour les professionnels de santé.

Les points de vigilance.

3 sur les 7 peuvent être soulignées.

  • (2) Un SIADM, s’il peut rassurer par son fonctionnement rigoureux et automatique, ne plonge pas moins le patient comme l’équipe soignante dans un certain degré d’incertitude. Le maintien d’un contrôle humain lors de l’utilisation d’un SIADM apparaît comme indispensable mais ne lèvera pas forcément les incertitudes.
  • (3) Les SIADM doivent être envisagés en tant qu’outils complémentaires des réponses à apporter aux insuffisances du système de soins, en particulier de la désertification médicale, mais ne doivent pas être considérés comme des solutions de substitution des équipes médicales.
  • (4) Le processus décisionnel conduisant à l’utilisation de SIADM doit impérativement prendre en compte le souci du soin avant les considérations économiques. Il doit être considéré comme un moyen de lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé.

Les recommandations. 

Sur les 16 recommandations, toutes importantes, nous en citerons 7.

  • Il est essentiel que les méthodes diagnostiques déjà établies, ne faisant pas intervenir a priori de SIADM, continuent d’être enseignées et de faire l’objet de recherches visant à les faire progresser.
  • La place grandissante des SIADM dans le champ des compétences médicales nécessite des études approfondies sur l’interaction entre les humains et les technologies d’intelligence artificielle pour évaluer l’impact des SIADM dans l’exercice de la médecine.
  • Dans un souci de transparence et de traçage, il faut indiquer l’utilisation d’un SIADM dans le compte rendu médical d’une consultation.
  • Ces éléments convergent en faveur d’un contrôle humain à toutes les étapes du soin, de l’indication des examens aux résultats des analyses et à l’interprétation contextuelle de ces résultats.
  • Créer les conditions de la confiance en incitant les développeurs à fournir un certain niveau d’explicabilité du SIADM qu’ils mettent sur le marché.
  • (8) Créer les conditions de la confiance en promouvant le développement de justifications étayant les promesses et, d’autre part, la publication de résultats de recherche négatifs, c’est-à-dire ceux qui ne confirment pas les promesses annoncées.
  • (10) Promouvoir l’utilisation d’essais cliniques pour évaluer le rapport bénéfice-risque des SIADM de la même façon que cela se fait pour les médicaments.

Nous remercions vivement le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle pour nos fidèles lecteurs de ManagerSante.com

Biographie de l'auteur : 

Son parcours : Président de la Société Française de Télémédecine (SFT-ANTEL) de janvier 2010 à novembre 2015, il a été de 2007 à 2009 Conseiller Général des Etablissements de Santé au Ministère de la santé et co-auteur du rapport sur « La place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008). Il a été Praticien hospitalier néphrologue de 1974 à 2007, chef de service de néphrologie-dialyse (1974/2007), président de Commission médicale d’établissement (2001/2007) et président de conférence régionale des présidents de CME (2004/2007). Depuis 2015, consultant dans le champ de la télémédecine (blog créé en 2016 : telemedaction.org).
Sa formation : outre sa formation médicale (doctorat de médecine en 1970) et spécialisée (DES de néphrologie et d’Anesthésie-réanimation en 1975), il est également juriste de la santé (DU de responsabilité médicale en 1998, DESS de Droit médical en 2002).
Missions :accompagnement de plusieurs projets de télémédecine en France (Outre-mer) et à l’étranger (Colombie, Côte d’Ivoire).
 avril 2007, Gazette du Palais 2007
Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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