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Télémédecine & filières de soins : quelle coordination par le Médecin Traitant ? Le Dr Pierre SIMON nous explique…

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N°5, Décembre 2017


Les pratiques de télémédecine doivent s’intégrer aux parcours de soins. Certains penseront que c’est une évidence et qu’il n’est nul besoin de le rappeler ! Néanmoins, si nous n’y prenons garde, certaines pratiques de télémédecine, notamment la téléconsultation par appel à une plateforme, peuvent dériver et créer une réelle médecine ubérisée, c’est à dire accessible sous conditions de ressources des personnes. 

Lorsqu’un acte médical est en dehors d’un parcours de soins coordonnés, l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) ne rembourse qu’à hauteur de 30% du tarif de l’acte (réforme mise en place en janvier 2005).

L’AMO considère qu’un acte médical est hors parcours de soins, lorsque le bénéficiaire de cet acte n’a pas déclaré de médecin traitant ou consulte directement un autre médecin sans être orienté au préalable par son médecin traitant.

 

En février 2017, 80% des assurés de plus de 16 ans (40 millions de personnes) avaient déclaré leur médecin traitant à la CNAMTS.

La télémédecine n’est qu’un mode de pratique médicale à distance….dont le mode de financement dans le droit commun de la sécurité sociale commence à apparaître depuis mars 2017. Selon la déclaration du Directeur de la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie et des Travailleurs Sociaux) en juin 2017, la télémédecine pourrait être financée dans le droit commun de la sécurité sociale à partir de 2018, du moins la téléconsultation et la télé-expertise. 

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Tous les professionnels de santé concernés attendent donc de connaître ce que la LFSS  (Loi de Financement de la Sécurité Sociale) 2018 autorisera comme financement et surtout quel périmètre sera concerné :

  • seulement les actes de télémédecine délivrés aux patients en affections de longue durée (ALD), soit 11 millions de patients en 2017, comme c’est le cas aujourd’hui dans le financement dérogatoire du programme ETAPES ?
  • ou le bénéfice de la Télémédecine à toute personne affiliée au Régime général de la sécurité sociale ?

Analysons chacune de ces deux hypothèses au regard du respect d’un parcours de soins coordonnés par le médecin traitant.

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1ère HYPOTHESE : Une Télémédecine financée pour 11 millions de personnes en ALD

Le périmètre de financement de la Télémédecine dans le droit commun de la sécurité sociale est limité aux 11 millions de patients en ALD.

Une telle décision serait acceptée par la grande majorité des médecins libéraux et salariés et lèverait les derniers freins que rencontre aujourd’hui le programme ETAPES, à savoir la méconnaissance, pour la quasi totalité des médecins, du cahier des charges (arrêté du 28 avril 2016), l’incompréhension vis à vis d’un curieux processus de financement (pour une téléexpertise asynchrone donnée au médecin traitant, le téléexpert reçoit immédiatement 1 euro de la CPAM et 39 euros à l’année N+1). Une telle mesure a un effet dévastateur en médecine libérale et nuit grandement à l’engagement des médecins libéraux dans le programme ETAPES.

Quoiqu’il en soit, le mode de prise en charge par téléconsultation/téléexpertise d’un patient en ALD est en conformité avec le parcours de soins du patient, si c’est bien le médecin traitant qui prend l’initiative d’intercaler quelques téléconsultations entre des consultations en face à face dans le parcours de la maladie chronique (avec le consentement de son patient), et si c’est lui qui déclenche la demande d’une télé-expertise auprès d’un médecin spécialiste pour avoir un avis plus rapide que s’il demandait à son patient de prendre un rendez-vous de consultation en face à face chez ce spécialiste.

Le besoin de télémédecine chez les patients en ALD correspond à leur souhait de vivre leur maladie chronique à domicile et de prévenir les hospitalisations pour complications (télésurveillance médicale), d’éviter les transports pour certaines consultations et d’accéder plus vite aux avis spécialisés(téléconsultations et téléexpertises spécialisées, téléconsultations dans les EHPAD).

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La télé-expertise directe entre le médecin traitant et le médecin spécialiste d’organe a beaucoup de vertus : la continuité des soins n’est pas rompue, ce premier filtre permet au médecin spécialiste de mieux caractériser le besoin de voir le patient en consultation en face à face, l’échange entre médecins traitants et spécialistes ne peut que renforcer la confraternité professionnelle et enrichir réciproquement les connaissances médicales.

Lorsqu’un patient en ALD est hospitalisé au sein d’un établissement membre d’un GHT (Groupement Hospitalier de Territoire), les pratiques de téléconsultations/téléexpertises entre les médecins hospitaliers du GHT doivent relever d’un financement afin de garantir un parcours de soins gradués au sein du GHT.

Enfin, la dépense engagée par l’AMO en finançant les pratiques de télémédecine au sein des parcours de soin de patients en ALD pourrait rapidement être maitrisée lorsque les financements au parcours ou à l’épisode de soins seront en place. En effet, en intégrant des pratiques de télémédecine dans les différentes filières de soins, on améliore l’accès et la continuité des soins sans créer obligatoirement un appel d’air à des actes supplémentaires par télémédecine. Le fait que le programme ETAPES se développe très lentement renforce cette argumentation puisque les médecins continuent à suivre les patients atteints de maladies chroniques comme ils le faisaient sans télémédecine.

En n’utilisant pas la télémédecine, ils n’adhèrent pas à des organisations professionnelles nouvelles qui pourraient améliorer la qualité de vie de leurs patients et leur exercice professionnel. C’est donc bien par la formation et l’accompagnement des professionnels de santé que la télémédecine se développera.

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2ème  HYPOTHESE : Une Télémédecine financée pour 40 millions de personnes affiliées au régime général

Le périmètre de financement de la télémédecine dans le droit commun de la sécurité sociale est élargi à toute personne affiliée au régime général et ayant déclaré un médecin traitant, soit 40 millions de personnes.

Si c’est ce choix qui est fait par les pouvoirs publics dans la LFSS 2018, on est dans une toute autre logique d’usage de la télémédecine. On ouvre aux quelque 30 millions de personnes qui ne sont pas en ALD l’usage de la télémédecine et on rembourse toutes les téléconsultations.

Il est vrai que le mode de vie sociétale du XXIème siècle avec le besoin d’une réponse immédiate à une question de nature médicale, l’intensité de la vie professionnelle, la durée des transports dans les mégapoles, etc. rendent plus difficile l’accès à des consultations médicales sur rendez-vous chez son médecin traitant.

D’ou le développement d’une offre de plateformes de téléconsultations à l’initiative de complémentaires santé et d’assureurs, notamment sur les lieux de travail. C’est ce que nous avons appelé la « téléconsultation de confort », autrement dit celle qui se substitue à une consultation en face à face. Ce terme « confort » n’a pas de connotation péjorative dans la mesure où de telles consultations visent à répondre rapidement à une réelle angoisse et à un besoin d’être rassuré. Elle pourrait dans ces cas être considérée comme une téléconsultation de « prévention ».

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Quels sont les risques de la consultation par « substitution » ? 

Nous pensons que favoriser la substitution d’une consultation en face à face peut comporter à terme plusieurs risques : celui de créer une médecine totalement ubérisée et nomade où la notion de médecin traitant peut disparaître avec la dimension humaniste de cette mission, celui d’une réelle surconsommation médicale déjà perceptible depuis quelques années grâce aux outils de communication numérique (smartphone en particulier), celui de détruire le réseau de soin primaire qui est en train de renaître en France chez les jeunes médecins et dont on sait aujourd’hui que ce réseau représente le socle d’un système de santé efficace, enfin celui de passer à côté d’un problème grave qui aurait justifié un examen physique et un interrogatoire approfondi en face à face avec le médecin traitant.

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Le « Téléconseil médical personnalisé » : et pourquoi pas ? 

Pour répondre aux attentes sociétales, qui sont réelles et qu’on appelle souvent de manière abusive « désertification médicale », comme l’a très bien montré le dernier rapport de la DREES (voir le billet intitulé « la Ministre a raison » dans la rubrique « Edito de semaine »), nous proposons de développer le « téléconseil médical personnalisé », jusqu’ici assuré totalement par le centre 15, mais qui pourrait être offert à tout affilié de complémentaires santé (28 millions de personnes), à l’instar de ce qui existe aujourd’hui en Suisse.

Le Centre 15 qui a doublé le nombre d’appels en dix ans, alors que les urgences vitales ont été réduites de 50% sur la même période, pourrait compléter l’offre de téléconseil assuré par les plateformes des complémentaires santé et assureurs.

Comme cela a été démontré dans d’autres pays, le téléconseil médical permet de faire un premier « tri » de la demande sociétale en matière de santé, d’orienter ou non le patient dans le parcours de soin primaire vers son médecin traitant, de redonner du temps au médecin traitant en désengorgeant son cabinet des consultations de petits problèmes médicaux et ainsi de redonner à la population générale une meilleure accessibilité à un médecin traitant.

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Les téléconsultations par plateformes, si elles sont maintenues, pourraient avoir des missions mieux ciblées qu’aujourd’hui, notamment en leur demandant de coopérer étroitement avec les médecins traitants d’un territoire. Elles pourraient intervenir en support de la mission de soin primaire pour prévenir la venue aux urgences, délivrer des conseils de prévention, délivrer des conseils thérapeutiques ou prescrire certains médicaments pour des affections bénignes, etc.

A la condition que tout appel à la plateforme fasse l’objet d’un compte rendu au médecin traitant dans le souci de préserver un parcours de soins coordonnés par le médecin traitant, ce qui n’est pas fait aujourd’hui par la plupart des plateformes de téléconsultations. Bien évidemment, le DMP (Dossier Médical Partagé) a toute sa place dans une telle coopération entre les plateformes et les médecins traitants .

En résumé, la décision que prendront les pouvoirs publics dans la LFSS 2018 peut avoir un impact majeur sur la place de la télémédecine dans les filières de soins primaires, en particulier chez les patients en ALD (Affection de Longue Durée).

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Nous remercions vivement  le Docteur Pierre SIMON (Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine) , auteur d’un ouvrage sur la Télémédecine,  pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle « E.Santé & Télémédecine», pour nos fidèles lecteurs de www.managersante.com

Docteur Pierre SIMON

Medical Doctor, Nephrologist, Lawyer, Past-president of French Society for Telemedicine, Past-CGES French Ministry of Health Praticien Hospitalier en néphrologie pendant près de 35 ans, il s'est intéressé a la Télémédecine des le milieu des années 90 en développant une application de Télémédecine en dialyse, devenue opérationnelle en 2001. Cette application a été évaluée par la HAS en 2008-2009 (recommandations publiées en janvier 2010). Après avoir co/signe le rapport ministériel sur "La place de la Télémédecine dans l'organisation des soins", avec Dominique Acker lorsqu'il était Conseiller Général des Etablissements de Sante (2007-2009), il a été, de janvier 2010 à décembre 2015, président de la SFT-ANTEL Société savante de Télémédecine, qui regroupe plus de 400 professionnels de santé, médecins et non médecins ( infirmiers, pharmaciens, etc.). et dont l'objet est de promouvoir et soutenir les organisations nouvelles de soins structurées par la Télémédecine, apportant la preuve d'un service médical rendu aux patients. La SFT-ANTEL organise chaque année un Congres européen de Télémédecine et a crée un journal de recherche clinique en Télémédecine ( Européan Research in Télémédecine) publie par Elsevier.

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Une réponse

  1. Nous sommes vite passés d’un parcours de l’information partagée à un parcours de soins à visée sanctionnante, avec moindre remboursement, et passage (facturé) obligatoire pour des médecins traitant toujours moins nombreux. On arrive donc d’une bonne idée – l’information partagée – non redondance – pertinence – grace au DMP, à un parcours fléché et rationnant de fait…sans DMP…!
    Ne laissons pas faire la mème erreur pour la télé-médecine, il faut proposer, organiser la coordination, former grace au DPC, et ainsi seulement créer l’adhésion, sine qua non…

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