N°2, Mai 2017
Relire la 1ère partie de l’article publié en Mars 2017
Une difficulté pour penser la dynamique des liens tient à la diversité des termes qui les évoquent et à la libre interprétation que chacun peut donner de leurs sens.
Ainsi, collectif reste un mot apparemment valorisé par l’organisation. Qui oserait formellement prétendre l’inverse ? D’ailleurs, c’est un objet central de réflexion des manuels de management. La métaphore sportive (l’équipe gagnante) conserve inlassablement sa capacité d’inspiration pour les communicants de l’entreprise.
D’ autre part, des termes positifs, attrayants, font leur apparition ou renaissent chargés de modernité : collaboratif, contributif, collégialité… Il est vrai que collaboratif sonne mieux à nos oreilles que collaboration, que collectif lui-même n’est employé que s’il ne risque d’être confondu avec collectivisme.
Au regard des problèmes psychosociaux au travail, c’est essentiellement le rapport entre la santé du collectif – en premier lieu l’équipe de proximité – et la qualité de la coopération qui intéresse, car la défaillance du collectif précipite et accentue toujours la crise en cas de difficulté.
Des liens de confiance contrariés par la recherche constante d’optimisation
L’intervention ou le contrôle des liens par l’organisation se révèle dans différentes pratiques :
- parfois explicites, comme la mesure et l’affichage continus des performances de tel ou tel salarié ou agent, de telle ou telle équipe, de tel ou tel service, de tel ou tel site ou unité, qui ouvre immédiatement à la comparaison, place de fait en concurrence et génère la défiance ;
- parfois moins lisibles, comme les modes d’organisation qui permettent de s’affranchir des normes de métier – au sens que donne Marc Loriol, c’est-à-dire des règles partagées et négociées entre pairs – qui viennent baliser et sécuriser la pratique et sont indispensables aux métiers humains éducatifs, sociaux, de soin et d’accompagnement.
Le « groupe projet » par exemple, prisé par l’organisation pour la mobilisation des expertises qu’il permet sur un objectif et un temps déterminés, peut être questionné dans sa contribution au recul des liens de confiance entre pairs.
Malgré la présentation qui en est faite, le groupe projet ne soutient pas toujours le collectif, car il permet rarement l’expression des doutes qui naissent dans le travail réel : « Ces formes de gestionnarisation, avec les techniques sur lesquelles elles reposent, visent à produire et à configurer à volonté des collectifs qui demeurent contrôlés, grâce à la mesure de certains indicateurs » analysent Sylvie Crépeau et Jean Luc Metzger (2007) à propos du groupware.
Les relations de confiance, les normes collectives de métiers, ne traversent pas ce type d’organisation, qui – faute de les prendre techniquement en compte – dénie l’expression de certaines sources de difficultés dans l’effectuation du travail.
La recherche de contrôle, d’optimisation ou de valorisation instrumentalisée à des fins d’image (de pure communication) du collectif de travail produit de la confusion. Les enquêtes qui tentent de rendre compte de l’ambiance au travail traduisent souvent ces divergences de perception entre ce que veulent croire les communicants de l’entreprise et ce que vivent les salariés.
Une hiérarchie désincarnée ?
« Quand le management n’est pas le problème, mais la solution » indique justement Mathieu Detchessahar (2011). Cette belle proposition permet d’actualiser le rôle central et décisif de la régulation de proximité dévolue à l’encadrement. Dans nombre d’entreprises ou d’administrations, elle peut constituer un étendard bien plus consensuel et réaliste que la mise en avant du « travail libéré ».
Mais pour l’analyste du travail, il est difficile de ne pas interroger les conditions d’exercice de ces managers, souvent transformés en simples relais, chargés de renseigner en continu des tableaux de bord ou d’organiser les plannings.
En effet, la recherche d’optimisation a conduit depuis longtemps à recruter ou transformer des encadrants de proximité en gestionnaire d’une équipe, dont ils ignorent parfois les pratiques d’accommodement forcées aux difficultés du métier.
Cette distance à l’effectuation concrète du travail et à ses enjeux (souvent éthiques) est une source de défiance qui peut conduire une équipe à rejeter celui qui est supposé incarner la fonction d’encadrement, comme en témoignent nombre de crises psychosociales.
D’autant que les prescriptions s’empilent et se font souvent contradictoires, créant toujours plus de situations paradoxantes (Gaulejac et Hanique, 2015). Sans l’intervention proactive de l’encadrant face aux attentes dissonantes, incohérentes (l’adressage du travail), le salarié ou l’agent est chargé de résoudre seul des problèmes impossibles, au risque d’altérer sa santé mentale. C’est bien à l’encadrant qu’il revient de faire les choix et les ajustements nécessaires qui oxygènent le collectif.
Nourrir le collectif exige simplement de partir des nécessités et contraintes du métier, ce qui ne conduit pas à figer les règles, mais en permet au contraire la saisie et l’actualisation par le débat.
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Yves GRASSET vous répondra avec plaisir !!!
Nous remercions vivement Yves GRASSET (Docteur en Sociologie (Ph.D), expert en ingénierie sociale), pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle « Recherche & Management », pour nos fidèles lecteurs de http://localhost/managersante