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Valeurs, missions & stratégie dans les rapports de certification : le manque de gouvernance

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N°2, Janvier 2017


Près d’une entreprise sur deux a  défini des valeurs et pour le tiers de celles qui l’ont fait, cette définition remonte à plus de deux décennies, selon une étude menée par l’agence Wellcom associée à Opinion Way[1].

L’enquête montre que tous les dirigeants, que leur entreprise ait ou non défini des valeurs, sont conscients des bienfaits apportés par des valeurs clairement formalisées, qui permettent de renforcer la culture d’entreprise et de développer l’éthique et les bonnes conduites des collaborateurs. En outre les valeurs, qui donnent plus de sens à l’action de l’entreprise et sont facteur de motivation pour les collaborateurs, sont une aide au management et à la décision voire un moyen de guider la communication et un outil permettant d’accompagner le changement ou de construire la réputation pour la performance de l’entreprise.

L’hôpital n’échappe pas à l’exigence de valeurs dans le référentiel de la Haute Autorité de Santé. Mais la mise en œuvre les loin d’être satisfaisante.

Le cadre du référentiel de certification

Le manuel de certification V 2010 édition 2014 traite des valeurs, missions et stratégie de l’établissement en premier critère. L’approche thématique introduite en 2014 conserve cette première position du critère.

V2010 – 1.a Valeurs, missions et stratégie de l’établissement

Valeurs, missions et stratégie de l’établissement sont précisés au critère 1.a  au chapitre 1er : Management de l’Etablissement, partie 1 : Management stratégique, référence 1 : Stratégie de l’établissement.

Ce critère est ainsi introduit par la Haute Autorité de Santé:

Les valeurs sont des références communes fondant la conduite professionnelle de chacun, identifiées de façon collective, et diffusées auprès de tous les acteurs internes et externes. Dans le contexte des établissements de santé, caractérisé par la présence de groupes porteurs de visions différentes et pourtant toutes légitimes, elles constituent un cadre de référence utile. Ces valeurs, liées aux missions de l’établissement, permettent de fonder les arbitrages et les décisions nécessaires au bon fonctionnement de l’établissement. Les établissements sont invités à mener une démarche autour de la définition de valeurs en évitant les écueils du formalisme ou du détournement.

Pour répondre aux attentes des différentes parties prenantes et s’adapter à l’évolution de son environnement, l’établissement définit ses orientations stratégiques.

Elles sont établies en conformité avec les orientations fixées par la puissance publique au travers des différents outils de planification sanitaire.

L’établissement s’attache au développement d’un management global et coordonné des risques (risques associés aux soins, risques professionnels, risques techniques et environnementaux).

Ce critère 1.a est suivi par deux critères, complémentaires en pratique :

V 2014 : L’approche par thématique

Dans le cadre de l’approche par thématique, le critère fait partie de la première thématique « Management stratégique, gouvernance » et s’avère suivi par les deux mêmes critères que dans le manuel. Deux autres critères viennent compléter cette thématique : Direction et encadrement des secteurs d’activité (2.a) et Fonctionnement des instances (2.c)

Le mot gouvernance est nouveau dans un titre.

Il est navrant que la notion de gouvernance soit en effet absente du référentiel V 2010. Le mot y est cité par raccroc page 92 dans la définition de « développement durable ».

A la lecture du manuel de certification,  la gouvernance, avec tout ce qu’elle implique, n’est manifestement pas au cœur des préoccupations à l’hôpital pour la haute autorité de santé.

La mise en œuvre des valeurs n’est pas satisfaisante

De là, sur la cinquantaine de rapports parcourus, des rapports de certifications qui ne traduisent pas un leadership à la hauteur des enjeux en matière de valeurs, missions et stratégie.

Valeurs, missions et stratégie dans les rapports de certification

Les valeurs se résument à des sujets comme la bientraitance, le respect des droits des patients, la dignité, la confidentialité, l’humanitude…

Cela reste souvent laconique dans les rapports de certification à l’exception de quelques établissements qui ont cité des mises en œuvre concrètes qui méritent d’être soulignées :

Les enjeux de la gouvernance : le poisson pourrit par la tête (proverbe chinois)

Si le mot gouvernance est cité dans des rapports de certification, il semble que trop souvent ses exigences ne sont pas comprises notamment dans un contexte accru de situations connues et dénoncées de maltraitance et harcèlement dans le secteur sanitaire et social.

Or, il y a une corrélation entre maltraitance et harcèlement qui sont deux violences à caractère institutionnelle dont la définition est parallèle :

S’il peut y avoir violence au travail étouffée et amnésie institutionnelle de la violence, faute médicale ou maltraitance peuvent aussi bien être étouffées car :

Au total, la violence est un acte délibéré ou non, provoquant chez celui qui en est la victime, un trouble physique ou moral comportant des conséquences dommageables pour sa personne ou pour ses biens[4].

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer la polémique récente entre l’association Jean-Louis Mégnien de lutte contre la maltraitance et le harcèlement au sein de l’hôpital public et Michel Rosenblatt, ancien secrétaire général du syndicat CFDT des directeurs d’hôpital qui déclare[5] qu’il peut inévitablement exister des situations de harcèlement dans des collectivités humaines aussi contingentes que les hôpitaux et il faut alors y porter attention et remède. Il est dangereux dans un État de droit, que certains s’arrogent la faculté de trancher entre le vrai et le faux, dans des situations dramatiques et complexes, et qu’ils s’autorisent à désigner des coupables. Et l’association de lui répondre[6] qu’il faut sortir de la culture de l’irresponsabilité et de l’impunité, car elle encourage la maltraitance et le harcèlement au sein de l’hôpital public. On pourrait dire dans tous les établissements sanitaires et sociaux public et privés.

Il ne faut pas jeter l’opprobre sur les directeurs, aux moyens limités et qui ne peuvent qu’obéir aux instructions des tutelles – et donc du ministère de la Santé – sous peine d’être virés, en particulier ceux du secteur public. L’article L. 6143-7-2 du code de la santé publique dispose en effet que, pour les établissements publics de santé, la nomination du directeur s’effectue par arrêté du directeur général du centre national de gestion, sur une liste comportant au moins trois noms de candidats proposés par le directeur général de l’ARS, après avis du conseil de surveillance. L’article 11 de la loi HPST a donné au directeur général de l’ARS le pouvoir d’évaluer les directeurs des hôpitaux publics et des maisons de retraite publiques. Mais la pression existe aussi sur les établissements privés.

Le plan de la  stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail présenté le 5 décembre 2016 présente dix engagements généraux en trois axes. Les engagements qu’il eût fallu prendre sont pourtant simples et tiennent en un axe : Sanctionner immédiatement tout comportement transgressif qui manque à la délicatesse. Or, la notion même de sanction n’est pas dans le document du ministère, pas plus que l’idée de procédure disciplinaire, pour s’en tenir à des idées générales sans portée.

Pour conclure, invité à réagir sur la conclusion d’un article de mon blog que la certification n’apporte aucune garantie de qualité du management, de la gouvernance et de qualité des soins[7], Thomas Le LUDEC, directeur de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins à la HAS a précisé que la certification est une évaluation centrée sur les organisations et pas sur les individus : elle ne se place pas dans l’appréciation de cas individuels et fait le constat que la majorité des événements qui surviennent sont liés à l’organisation et à la communication dans laquelle s’inscrivent les acteurs. Et de préciser que C’est à l’ARS de déclencher les procédures adéquates[8].

Or l’ARS (service déconcentré du ministère) est responsable des turpitudes qu’elle peut soutenir dans les établissements. La boucle de l’irresponsabilité et de l’impunité est bouclée.

 

[1] Cf. Etude  Wellcom réalisée par OpinionWay auprès d’un échantillon représentatif de 402 cadres-dirigeants d’entreprise. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas au regard du nombre de salariés et du secteur d’activité

[2] Cf. définition du Conseil de l’Europe

[3] Cf. article L. 1152-1 du Code du travail pour les établissements privés ou article 6 quinquiès de la loi N° 83634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pour les établissements la fonction publique

[4] Cf. Dictionnaire de droit privé de Serge Braudo, Conseiller honoraire à la Cour d’appel de Versailles

[5] Article « Suicide du Pr Mégnien à l’HEGP : un ex-patron de directeurs appelle à « ne pas tomber dans la dénonciation publique » dans le Quotidien du Médecin du 21 décembre 2016

[6] Article « Suites du suicide de Jean-Louis Mégnien: Marisol Touraine se doit désormais d’intervenir » sur le blog de Jean-Yves Nau, journaliste et docteur en médecine

[7] Article « Corrélation entre maltraitance et harcèlement » sur le blog Qualitiges

[8] Article « Erreur médicale et harcèlement à Gabriel Martin: La certification n’a rien vu » sur www.zinfos974.com

    


 

Nous remercions vivement  Jérôme Turquey (Dirigeant – SAS Qualitiges, Formateur dans le réseau Ad’Missons, Conseil en management et gouvernance, Ambassadeur Metz Métropole) , pour partager son expertise professionnelle en proposant de rédiger des articles sur le management de la qualité , pour nos fidèles lecteurs du Site MMS

Jérôme TURQUEY

Conseil aux organisations pour identifier leurs gisements d'amélioration continue Qualitiges Institut d'Etudes politiques de Bordeaux Auteur d’ouvrages et d’articles, animateur d'un Blog Qualitiges destiné aux dirigeants & responsables.

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