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Travail et Harcèlement moral (partie III)

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N°7, Septembre 2016


Nous avons jusqu’à présent mis l’accent sur la position adoptée par la chambre sociale de la Cour de cassation. Nous nous intéressons désormais au juge pénal et aux juridictions administratives.

C’est la volonté de nuire qui complique le sujet devant une juridiction pénale : si la chambre sociale de la Cour de cassation ne recherche pas l’intention pour caractériser un cas de HM (Harcèlement Moral), cet élément est important en matière répressive (A). Une approche pénale peut aussi se dédoubler autour de la notion de « complicité ».

La jurisprudence administrative tend à se prononcer de manière plus concrète, plus unifiée aussi sur la qualification du HM (B) bien qu’il y ait quelque autre dissonance à relever ici et là…

A. Le Harcèlement Moral et les principes du droit pénal

Le droit pénal est largement influencé par les libertés et droits fondamentaux.
Mais on le constate aussi à regarder de plus près ce qu’implique la qualification d’un délit.

a. L’élément intentionnel est en principe requis pour caractériser un délit.

Nous savons que les articles L. 1152-1 du code du travail et 223-22-1 du code pénal (1) sont formulés de manière comparable.

Pourquoi la chambre criminelle de la Cour de cassation a-t-elle déjà pu estimer que le HM nécessitait l’intention de nuire (C. Cass. Crim. 11 mai 2005, n° 04-86774) ? C’est parce que l’article 121-3 du code pénal (2) postule qu’il n’y a « point de crime ou de délit sans intention de le commettre. »

Le Conseil constitutionnel a tiré des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 que « la définition d’une incrimination criminelle et délictuelle doit inclure, outre l’élément matériel de l’infraction, l’élément moral, intentionnel ou non, de celle-ci » (décision n° 99-411 DC, 16 juin 1999). A défaut de précision sur l’élément moral de l’infraction, le principe énoncé à l’article 121-3 du code pénal s’applique de plein droit (décision n° 2008-564 DC, 19 juin 2008).

Mais l’écueil probatoire que présente une intention est si complexe qu’il se lit à la lumière de la présomption d’innocence qui figure au nombre des principes à valeur constitutionnelle. Le juge répressif ne peut pas s’y dérober. Tout juge doit trancher en dépit des doutes en présence (un déni de justice engage la responsabilité de l’Etat ; cf. article L. 141-1 Code de l’organisation judiciaire).

Un arrêt du 24 mai 2011, n° 10-87.100 (3) permettait de penser que la chambre criminelle s’était ravisée puisqu’elle semble y respecter la lettre de l’article 223-22-1 du code pénal. Or elle a ensuite retenu l’élément intentionnel dans d’autres arrêts (n° 13-86473 du 3 septembre 2014 ; n° 14-85106 du 26 janvier 2016).

b. La complicité peut être également sanctionnée :

Le complice encourt les mêmes peines que l’auteur du délit.

Cette « qualité » relève de l’article 121-7 du code pénal (4) disposant comme suit :
« Est complice d’un crime ou d’un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.

Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »

Il est intéressant de voir que l’abus d’autorité n’a pas disparu à l’alinéa 2 de cet article, alors que l’apparition du HM dans le code du travail avait occulté cette référence. On pourrait concevoir qu’une emprise hiérarchique ayant « séduit » des soldats pour prendre le rôle de l’auteur d’un HM puisse y concourir par complicité contre une cible affaiblie qui résiste à la phase de violence qui suit celle de la séduction (cf. « Souffrance au travail et névroses managériales » Cahier de recherche, 2/2007, page 8, titre 1.3 La violence psychique du HM, JC. Casalegno et al.).

A côté du principe de la personnalité des peines et des délits, les juges répressifs doivent si bien observer les dispositions pénales qu’elles sont d’interprétation stricte (article 111-4 du code pénal), le raisonnement analogique n’étant pas admis en principe : « pas d’infraction sans texte ! ».

L’autre difficulté rencontrée par les juges consiste à ne pas confondre une éventualité avec une réalité (chambre criminelle, arrêt n• 10-90-266, 06 décembre 2011).

B. Le Harcèlement Moral (HM) et la jurisprudence administrative

Rappel du texte fondateur : cf. article 6 quinquies, titre I du Statut général.

Les agents de la fonction publique qui seraient victimes d’un HM sont mieux couverts par la cohérence des interventions du Conseil d’Etat (CE). La Haute juridiction s’est même avancée, à l’aide de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, sur le terrain de la lutte préventive contre le HM en érigeant le droit de ne pas le subir en une liberté fondamentale (arrêt Commune de Castellet, n• 381061, 19 juin 2014).

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a. La qualification des faits de Harcèlement Moral (HM)

Le fonctionnaire doit rapporter des éléments susceptibles de laisser penser qu’il y a HM (arrêt CE n• 372042, 31 octobre 2014). Le juge administratif tient compte de l’ampleur des conséquences que les agissements répétés peuvent entraîner (ou ont entraînées) sur la santé de l’agent, ses conditions de travail et ses perspectives.

Un seul des effets éventuels suivants doit permettre de caractériser le HM :

  • une atteinte à la dignité de l’agent
  • une altération de sa santé physique ou mentale
  • un avenir professionnel compromis.

Le tribunal administratif de Nantes a pu préciser qu’il exerçait un contrôle normal sur l’origine de la sanction retenue par l’administration à l’encontre du harceleur (Commune de Carquefou, 26 janvier 2005).

Une rétrogradation du fonctionnaire harceleur a même été admise par le juge administratif.

L’intention de nuire est bien distincte de la simple expression d’un pouvoir exercé par une autorité. Mais lorsqu’un abus répété se révèle par des faits (placardisation, mutations fréquentes sans justification sérieuse, brimades, mesures vexatoires, etc.) dont il n’est pas raisonnable de croire que l’autorité ait pu ignorer leur impact sur l’agent, la volonté de nuire peut se présumer sans être pour autant indispensable.

b. Tempéraments à une meilleure protection des victimes d’agissements répétés de Harcèlement Moral (HM) :

  • la Cour de cassation considère qu’une brève période suffit là où le juge administratif semble requérir une durée significative, ceci dit c’est la répétition des faits qui reste déterminante ;
  • le Tribunal des conflits a jugé qu’un refus par l’administration de déclencher une enquête sur une situation de HM ne pouvait pas être une voie de fait (décision rendue le 20 octobre 2008) ;
  • le Conseil d’Etat se montre pragmatique lorsqu’il n’hésite pas à restreindre la responsabilité de l’administration en raison d’une faute de la victime d’un HM (5) dont elle aurait par exemple précipité la réalisation ou provoqué en partie son dommage ;
  • l’administration viserait plutôt l’éloignement de la victime par le biais d’une mobilité au lieu de sanctionner le harceleur, cette mesure individuelle de protection est efficace si le HM est collectivement consommé mais il ne règle pas le problème à sa source puisque le groupe harceleur n’est pas déstructuré !

Les définitions données du HM par la loi peuvent se présenter sous la même clarté qu’offrirait une photographie d’un ciel étoilé. C’est au juge que revient la tâche de reconnaître si un cas d’espèce entre bien dans la description légale. Mais le mot « harceler » est assimilable au verbe « tourmenter » comme le souligne le Pr. Emmanuel Aubin (ouvrage recommandé : La Fonction publique, 6e édition, lextenso, page 424).

Les sciences humaines ont toutes, même indirectement, contribué à l’appréhension des mécanismes du HM. La psychologie nous rappelle qu’au travail « l’Homme joue son identité, son désir de reconnaissance et d’estime ». Ceux « qui ne rêvent pas sont des individus qui meurent » (Enriquez, 1997), le HM brise aussi l’espoir chez la cible.

La valeur d’une organisation devrait pouvoir ainsi se mesurer par l’aptitude qu’ont ses membres à se respecter en bonne intelligence (cf. supra – JC.Casalegno), à concourir ensemble au bien commun, soit l’exact contraire de ce qui motive l’auteur du HM.

Ces enseignements ne sont peut-être pas assez diffusés dans les écoles de management pour prévenir une dérive « narcissique » ou « perverse ».

Une citation de Philippe d’Iribarne (1997) récapitule parfaitement le propos en ces termes : « qui veut être honoré devrait aussi -et d’abord- se montrer honorable ».

Notes :

(1) article 222-33-2 du code pénal

(2) article 123-1 du code pénal

(3) « par des motifs en partie contradictoires et alors que le délit de harcèlement moral n’implique pas que les agissements aient nécessairement pour objet la dégradation des conditions de travail, (…) »

(4) article 121-7 du code pénal

(5) arrêt Mme Baillet c/ ONC (2006)

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N’hésitez-pas à laisser vos commentaires… Hervé HENRY vous répondra avec plaisir !!!

Nous remercions vivement Hervé HENRY, Juriste et  spécialisé dans le « Droit de la Santé & de la Protection Sociale », pour partager son expertise professionnelle en proposant cette Rubrique mensuelle, pour nos fidèles lecteurs du Blog MMH

Hervé HENRY

Juriste

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7 réponses

  1. bonjour,
    combien de temps, la victime a-t-elle pour déposer une plainte?
    L’impossibilité d’être accompagné lors des entretiens par un délégué du personnel a conduit à un enregistrement des conversations à des fins personnelles pour bien réaliser ce qui se passait réellement et etre bien certain de comprendre la situation. peuvent ils servir à l’agent pour prouver sa bonne foi?

    1. Bonjour,
      Le harcelement est une infraction qui se constitue par répétition des actes, c’est le plus récent qui fait courir la prescription qui est de 5 ans en droit du travail, mais seulement 3 ans en droit pénal.
      En matière pénale, la preuve est libre. Mais il existe un principe de loyauté de la preuve. Un enregistrement peut se retourner contre la victime puisque l’article 226-1 du code pénal dispose que : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui :
      1° En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; »
      Il est préférable de se tourner vers une reconnaissance des conséquences du harcelement moral sur la santé auprès du médecin du travail et demander une enquête à l’inspection du travail. En cas de procès contre l’employeur, si les éléments fournis laissent supposer un harcelement, vous devriez obtenir gain de cause dès lors que l’employeur ne saura pas prouver le contraire.
      C’est toutefois une démarche courageuse et usante mais bien souvent nécessaire pour avancer et se reconstruire.
      Je reste à votre écoute et je vous remercie de votre intérêt pour mes articles.
      Cordialement.

  2. Bonjour,

    J’ai lu avec également beaucoup d’intérêt votre article. Je suis dans le cas où ma responsable a monté une véritable cabale à mon encontre. J’ai du demander à quitter mon entité, menaces de placardisation, d’absence d’évolution d’être le poison de la boîte, 8 mois d’arret maladie et depuis 3 ans, je me retrouve en mission avec de nombreux déplacements.
    Aujourd’hui, plus de mission, plus de manager, pas de mission.
    J’i postulé sur 35 postes, j’ai les compétences, mes entretiens sont positifs mais la réponse est toujours la même… ça va être difficile avec ton ancien manager…
    J’ai fait confiance à mon entreprise en demandant l’ouverture d’un protocole pour HM, demande restée vaine, procédure de médiation qui court toujours… je fatigue c’est sans fin… Je comprends qu’une entreprise ne reconnaisse que très difficilement ce type de malveillance mais comment faire

    1. Bonjour,
      Ce que vous décrivez présente une volonté d’exclure, comment ne pas en souffrir ? Le fait de se projeter par une recherche d’emploi peut vous extraire un peu de cette spirale et, autant que faire se peut, il faut inlassablement collecter des éléments (faire constater l’évolution de votre santé, baisse de tonus, etc. mais aussi relater chaque agissement nuisible dans un journal qui vous permettra de retracer les faits et leur fréquence avec l’heure, la date et les détails offensants). Ce qui prime avant tout c’est de se réapproprier son rythme de vie et ses perspectives, se retrouver soi-même, se « regagner » une estime de soi pour repartir ressourcé, lâcher-prise, se détacher le plus possible. Les arrêts de travail permettent de récupérer l’énergie nécessaire à la reprise dans le contexte que vous connaissez. En effet, la personne qui est exclue, harcelée, chassée ou dévalorisée traverse plusieurs phases successives pour s’adapter, lutter ou partir. C’est fatalement une impasse aussi longtemps que les ressources humaines, les partenaires sociaux et la DIRECCTE ferment les yeux. La seule variable qui reste dans une telle équation c’est le choix qu’effectuera la victime dans son propre repli : s’engager dans une procédure judiciaire, prendre acte de la rupture du contrat de travail ou multiplier les alertes et résister en interne en essayant de tenir jusqu’à ce qu’il y ait assez d’indices à mettre sur la table si vous doutiez de la solidité du dossier en l’état actuel. Bon courage à vous.

      1. Merci pour votre réponse.
        C est effectivement incroyable de dire de redire les choses de les démontrer sans cesse et de se heurter à la mauvaise foi. C est destructurant.

  3. Bonsoir,

    J’ai lu avec beaucoup d’intérêt vos articles.

    Personnellement , je suis dans le cas inverse, mon collaborateur m’accuse de harcèlement!
    Quand je l’ai appris , je suis tombée des nues, je le savais compliqué mais là, je me retrouve dans un tourbillon d’enquêtes Médecine du travail, CHSCT, et ma direction me demande des comptes…

    Comment faire ?? Je ne crains pas du tout les enquêtes, mais j’ai 18 mois de maison et mon adjoint 15 ans. Comment prouver ma bonne foi? Du coup, je me méfie de tout, je trace tout , n’est il pas trop tard? Je ne dors plus beaucoup etc….

    Je suis ouverte à toutes suggestions

    1. Bonsoir,
      Merci d’avoir été attentive à cette thématique.
      Si dans votre cas, un HM était reconnu, il n’est pas forcément question de rechercher une sanction à votre encontre puisque, d’une part, c’est l’employeur qui répond d’abord de son obligation de sécurité et, d’autre part, les juges ont déjà retenu que les méthodes de gestion pouvaient être la cause exclusive du HM.
      Chaque contexte étant différent, il est délicat d’adapter une réponse générale à des faits méconnus. Mais lorsqu’il s’agit d’une petite entreprise, la responsabilité peut être plus personnelle. Dans une grande entreprise, il est possible que l’employeur considère son encadrement comme sain en dépit d’une condamnation pour HM. Ce qui est constant lorsqu’un encadrant est visé parmi d’autres personnes, comme ayant probablement harcelé quelqu’un, c’est qu’il est difficile d’être serein même en étant convaincu de n’avoir pas mal agi. Le doute a le don de remettre en question des personnes plutôt scrupuleuses ou altruistes parce qu’à mon humble avis il est le signe d’une attention accordée aux autres. Vous remarquerez que j’entends par là qu’une personnalité pleine de certitudes ne va pas facilement rechercher sa part de culpabilité. A partir des éléments que vous avez ajoutés, concernant votre courte ancienneté dans l’organisation, vous vous sentez davantage menacée, surtout s’il n’y avait aucune plainte au cours des années précédant votre entrée. Ce n’est pas non plus déterminant dans la mesure où le HM ne peut être reconnu qu’au moyen d’éléments concordants, avec des témoignages et/ou des traitements dégradants ou discriminants qui se seraient succédés sur une période suffisante pour qu’un effet sur la santé du requérant soit supposé. Plus concrètement, par rapport à votre interrogation, si votre bonne foi n’est pas démontrée, cela ne fait pas de vous la personne décrite par l’individu qui se prétend harcelé puisqu’encore faudra-t-il que l’employeur soit capable de prouver la mauvaise foi éventuelle du plaignant. En effet, la logique procédurale exige un débat contradictoire au cours duquel chaque partie peut argumenter dans l’espoir d’orienter le bien-fondé de sa prétention.
      Quoiqu’il en soit, je vous souhaite autant de courage que de quiétude. Enfin, n’oubliez pas qu’une personne s’estimant victime sans aucun fondement peut se voir reprocher une procédure abusive.
      Je crois aussi qu’en restant de bonne foi, votre comportement peut conforter le constat que vous l’avez été auparavant. J’espère aussi vous avoir apporté quelques pistes vers une résilience face à cette épreuve.

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